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égal — qu’ils quittaient tout ce qu’ils aimaient, — leur père, leur mère, tous leurs parens,

« Leurs compagnons et leur douce amie — (toute leur joie, l’objet de leurs désirs), — leur village et son clocher élevé, — et par-dessus tout leur patrie, la Basse-Bretagne !

« Ils ont pleuré, à noyer leur cœur, — en leur faisant leurs adieux, — mais le temps des larmes est passé, — et ils ne songent plus qu’à faire leur devoir :

« Se battre comme de vrais Bretons, — frotter rudement les Prussiens, — et mourir contens, s’il le faut, — pour ceux qui sont restés à la maison !

« Et sur les chemins, tout du long, — et par les champs de blé jaunissans — partout les hommes leur disaient : — « Dieu soit avec vous, les gars! »

« Et les jeunes filles les regardaient — tristement, et plus d’une pleurait... »


Plus d’une fiancée en effet devait être rendue veuve avant même de passer à son doigt l’anneau de l’épouse ! Pendant que soldats et marins allaient rejoindre, la garde mobile se formait. Le départ de ces jeunes gens, qui abandonnaient, sans savoir s’ils les reverraient jamais, leur pays, leurs familles et leurs amours, a donné naissance à quelques chansons sentimentales ou plaisantes, devenues depuis populaires. C’est le moment de l’enthousiasme; on traduit en breton la Marseillaise et le Rhin allemand de Musset[1], et on chante (j’emprunte quelques vers à la Chanson de la garde mobile de Lannion) :


« Cependant je crois volontiers — que nous en viendrons à bout. — Pourvu que les Français s’entendent, — nous irons nous promener à Berlin. »


On sait assez que nous n’allâmes pas loin sur la route de Berlin. L’armée battue, la France envahie, il fallut faire un prompt appel au patriotisme du pays étonné. « Debout! debout! vaillans gars de Bretagne, pour défendre votre pays et votre foi ! »

War-za ! War-za ! Potred-vad Breiz !
Wit harpa ho pro hag ho feiz !

Les mobiles de Bretagne vinrent s’enfermer dans les murs de Paris. Nous les vîmes défiler tristes, mais résignés, modestes, mais

  1. Ces traductions ont été publiées dans le Journal de Lannion du 15 septembre 1870.