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courageux. La nostalgie fit aussi bien que la mitraille des ravages dans leurs rangs, et il en est auxquels le regret du pays fit perdre la raison. Dans cette grande ville, dont tous ne comprenaient pas la langue, ils étaient comme exilés, eux qui gardaient m plus profond du cœur les traditions du foyer domestique ; mais le sentiment du devoir passait avant tous les autres :

« Adieu, Marie, ma douce amie ; — adieu, je vais dans un moment, — là-bas sous les remparts, — mourir en défendant mon pays.

« De tous côtés sonnent les trompettes, — de tous côtés tirent les canons ; — il faut aller de bon cœur — et sans peur, comme un vrai Breton,

« Adieu, adieu pour ce monde, — où nous ne devons plus nous revoir ; — nous nous retrouverons un jour dans le ciel — avec tous les bons soldats de la foi !

« Les boulets, au-dessus de ma tête, — sifflent dans l’air en passant ; — les remparts sont tout en feu, — de tous côtés je vois des morts !

« Voici, voici le jour des noces ! — Mon sang, à moi, est le vin rouge du festin, — et le clairon et le canon — remplacent le biniou[1] !

« Viens donc, viens donc, mon petit cœur, — viens que je passe à ton doigt — l’anneau de l’épouse, — plus beau que celui d’une reine !

« Adieu encore, adieu dans ce monde ! — Souviens-toi toujours de ton soldat, — mort pour sa patrie et sa foi, — comme tout bon fils de la Bretagne ! »

Cette pièce est courte et sans prétention, mais il me semble que la simplicité de l’expression et la vérité du sentiment lui donnent un charme tout particulier. C’est le moment de la colère nationale contre l’invasion, de l’organisation précipitée de la défense, de l’espoir du succès final. Cette fièvre de la lutte « à outrance, » nous la retrouvons dans une pièce datée du 21 septembre, et que nous demandons la permission de traduire en entier :

DEBOUT, BRETONS !

« Le moment est venu, debout tous ! — et plutôt la mort que la défaite ! — Debout, bons gars de la Basse-Bretagne, — debout, il faut aller à la guerre !

« Dans la plaine comme dans la montagne, — dans les villes et aux champs, — dans les bois et sur les rives de la mer, — écoutez la voix de notre mère Arvor[2].

  1. Espèce de musette ou cornemuse.
  2. Arvor est ici l’Armorique personnifiée.