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à l’emploi des langues provinciales comme moyen d’instruction; ils voudraient imposer un niveau unique à la France, celui de la langue française, comme si une population pouvait abandonner la langue de son foyer. En attendant que tout le monde en France sache le français (et ce jour est encore éloigné), cette population qui s’instruirait, si on s’adressait à elle dans son langage, végète dans l’ignorance. A qui la faute, sinon aux doctrinaires de la centralisation, qui veulent façonner la France à leur fantaisie sans examiner l’état des choses, sans se soucier des légitimes traditions de nos provinces?

On reproche avec raison à certains démocrates de parler au peuple de ses droits sans jamais lui parler de ses devoirs; on pourrait avec une égale justice adresser ce reproche à quelques défenseurs de la prépondérance de la bourgeoisie dans la conduite des affaires publiques. La classe moyenne veut garder la direction morale et politique du pays; mais elle doit la mériter en étant dans la nation la classe la plus instruite, la plus active, la plus dévouée au bien public. Qu’elle se mette donc à l’œuvre de l’éducation populaire dans les campagnes aussi bien que dans les villes! Ce ne sera pas seulement une mesure de prudence devant le flot populaire qui monte, ce sera aussi un acte de justice, l’accomplissement du devoir qui incombe à l’aîné dans une famille d’orphelins. Si un régime de liberté peut s’établir définitivement en France, ce sera en s’appuyant fortement sur les paysans, à la condition qu’ils soient instruits et qu’ils s’intéressent aux affaires publiques; on les y intéressera, non-seulement en travaillant à leur apprentissage politique par le maniement des affaires communales et départementales, mais aussi en entreprenant leur éducation dans la langue qu’ils comprennent. C’est, à l’heure incertaine où nous sommes, un des plus pressans devoirs du parti libéral en province.


H. GAIDOZ.