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et persévèrent, même sans succès, dans un genre qui jadis a produit tant de chefs-d’œuvre.


VI

Après ce long inventaire des richesses de l’année, il faut enfin nous demander où nous en sommes. Que doit-on penser aujourd’hui de l’école française ? Quelles sont les causes de décadence qui la menacent, ou les signes de régénération qui s’y laissent entrevoir ? Faut-il crier misère et gémir sur notre honte, comme certains hommes du passé qui s’en prennent au temps présent de ce qu’ils n’ont plus les yeux de la jeunesse ? Faut-il au contraire chanter victoire, nous enorgueillir et nous extasier devant nos défauts comme devant des traits de génie ? La vérité, quoi qu’on en dise, n’est pas toujours dans le juste milieu, et cependant nous voudrions nous tenir à égale distance des critiques qui s’abandonnent à un découragement stérile et de ceux qui se complaisent dans une indulgence funeste.

Ce qu’il y a de certain, c’est que peu d’époques ont été aussi fécondes que la nôtre en œuvres distinguées et en artistes de naissance. Nos expositions fourmillent de morceaux estimables et de talens inaperçus. Ce qu’il y a de certain également, c’est que du milieu de cette foule bigarrée il est bien rare de voir surgir, je ne dis pas seulement quelque grand génie, mais quelque forte personnalité qui la domine et qui la marque à son empreinte. La confusion des langues règne dans le pays des arts ; tout le monde y abandonne l’usage de la belle langue française pour parler divers jargons prétentieux ou vulgaires, auxquels chaque artiste se croit obligé, pour paraître original, d’ajouter quelques néologismes de sa façon. Et comme il n’y a rien d’arbitraire en ce monde, pas plus dans l’ordre moral que dans l’ordre physique, on peut affirmer aussi que cette anarchie générale tient à l’état de nos mœurs, à la fâcheuse influence exercée sur l’éducation des artistes par les goûts et par les besoins de la société moderne. Voilà donc le problème posé ; est-il vrai, comme on dit, qu’il soit par là même à moitié résolu ?

L’explication de ce phénomène ne nous serait-elle pas fournie par le contraste que nous remarquions plus haut entre la sculpture et la peinture contemporaines ? La sculpture, disions-nous, est supérieure à la peinture, et cela par les raisons mêmes qui la rendent moins populaire. Elle subit moins l’action de la mode et du mauvais goût qui est le produit de la mode. Le sculpteur, absorbé dans ses rudes travaux, est un ouvrier forcé de vivre en solitaire dans notre société frivole et dissipée. A l’exemple de Jean Goujon, qui