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attenant forment une propriété privée et héréditaire. Cependant le propriétaire ne peut la vendre à une personne étrangère au mir qu’avec le consentement des habitans du village, et ceux-ci peuvent toujours exercer un droit de préférence. Dans les communautés de village de tous les pays, même dans la marke germanique, on trouve une coutume semblable, qui s’explique facilement. La commune n’est pas seulement une unité administrative ; elle est plutôt une association patriarcale, une extension de la famille, dont les liens sont si intimes, dont la solidarité est si étroite qu’un étranger n’y peut être admis sans le consentement de la majorité. Encore aujourd’hui en Suisse, le droit de bourgeoisie dans une commune ne s’acquiert point par la seule résidence, il ne s’obtient que par achat ou concession et avec l’assentiment du corps des bourgeois. Au moyen âge, il en était de même partout. Dans la commune russe, il n’y a donc point de propriété immobilière complètement libre ; celle qui existe est encore soumise aux entraves résultant du domaine éminent de la collectivité.

Récemment de vives discussions se sont élevées au sujet de l’origine de la communauté des terres qui forme la base actuelle du mir. Les patriotes russes y voyaient « l’institution primordiale » de la grande race slave, et cette opinion, propagée en Europe par les écrits du baron de Haxthausen, était admise sans contestation ; mais dans ces derniers temps MM. Tchitcherine et Bistram ont soutenu une thèse complètement opposée. D’après eux, jusqu’à la fin du XVIe siècle, les paysans étaient libres et propriétaires indépendans de la terre qu’ils cultivaient. Ils traitaient avec le seigneur pour la rente à payer, et vendaient, héritaient, louaient, léguaient leurs fermes sans aucune immixtion de l’autorité communale ou seigneuriale. La communauté des terres et le partage périodique étaient inconnus. La commune n’exerçait aucune tutelle sur ses membres. Toutefois l’indépendance des paysans ne pouvait convenir ni au souverain, qui voulait des impôts et des soldats, ni aux seigneurs, qui réclamaient des bras pour cultiver leurs terres. Un ukase du tsar Fedor Ivanovitch, de 1592, attacha les paysans à la glèbe. Les seigneurs dressèrent des registres où étaient inscrits les cultivateurs habitant la terre qu’ils considéraient comme leur domaine, et il leur fut interdit de se déplacer sans autorisation. Des lois postérieures de Boris Godunof introduisirent définitivement le servage. Sous Pierre Ier, l’impôt par tête d’habitant mâle, la solidarité de la commune pour le paiement des impôts et pour le recrutement de l’armée et le recensement amenèrent les paysans à mettre les terres en commun et à les partager en proportion des bras valides, afin que chacun fût obligé de contribuer aux charges communales dans la