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martyre est associé à un acte de patriotisme ? Ce n’est qu’une légende entre cent autres de même nature que nous rencontrerions, si nous poussions plus loin notre route ; elle suffit pour faire entrevoir à quel point le christianisme a mêlé ses racines aux origines mêmes de la France. Nous laissons chaque lecteur libre de tirer de ce fait telle conséquence qu’il lui plaira, selon le degré de clairvoyance ou de légèreté de son esprit.

L’église de Saint-Florentin est loin d’avoir l’antiquité vénérable de la légende que racontent ses vitraux, car elle appartient entièrement à la renaissance. A l’extérieur cependant, divers détails, notamment un interminable escalier, que couronnent les statues fort endommagées de, Moïse et d’Aaron, et dont les marches ont été brisées par le temps, lui donnent une apparence de vieillesse dont elle est loin d’avoir la réalité : la meilleure manière d’y pénétrer est de monter cet escalier qui s’ouvre sur le flanc nord, parce que l’illusion de cette vétusté extérieure fait d’autant mieux ressortir son style tout flambant neuf à l’intérieur. Comme beaucoup d’églises inachevées, elle se compose d’une abside, et n’a d’autre nef que le demi-cercle qui entoure le chœur. Nulle disposition, nul détail qui rappelle dans cette plus avenante des églises d’autres caractères que ceux des jours rians de l’art. Cette église est de corps comme d’âme, au physique comme au moral, s’il est permis de s’exprimer ainsi, une des plus vraies filles de la renaissance que nous ayons vues ; au physique, tout y est coquet, lumineux, gracieux ; au moral, tout y respire l’amour de l’art, le raffinement d’esprit, le goût et l’habitude des libres études, les discrètes hérésies des lettrés de la renaissance, leur silencieuse jouissance des belles œuvres du paganisme ou des hautes pensées de l’hétérodoxie. Au lieu de ces sombres vitraux du XIIIe siècle, si avares de lumière et si peu variés dans leurs sujets, qui répètent uniformément quelques épisodes des livres saints, nous avons ici une suite de belles verrières qui laissent passer par nappes égales la clarté, et qui racontent au complet d’amusantes histoires légendaires, celle de saint Florentin, celle de saint Nicolas, telle de saint Martin, celle de saint Julien. Au lieu de ces sanglantes images et de ces tragiques emblèmes du christianisme austère des siècles précédens, au lieu même de ces représentations pathétiques des scènes de la passion et du sépulcre, si conformes encore à la piété populaire qu’enfanta la première renaissance, nous avons ici de délicates sculptures où le travail minutieux de l’art efface l’horreur salutaire de la tragédie sacrée. Le caractère moral, et ce qu’on pourrait justement appeler l’âme secrète de cette église, qui est moins un temple qu’une maison de plaisance de Dieu, est bien exprimé par une curieuse verrière qui représente la création du monde.