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et plus terribles épreuves. Le régime que nous avons aujourd’hui, il n’est pas né d’un caprice, ni même d’un choix prémédité ou calculé ; il est né de la force invincible des choses, à la suite des plus affreux désastres qui puissent accabler une nation. Les événemens nous l’ont fait tel qu’il est, ils nous ont donné cette assemblée, élue d’un mouvement spontané de la France, et ce gouvernement improvisé, dont le chef s’est trouvé tout naturellement être l’homme qui par son expérience, par son dévoûment aussi bien que par sa renommée européenne, offrait au pays les plus éclatantes et les plus sérieuses garanties. On pourrait dire jusqu’à un certain point que la chambre et le pouvoir de M. Thiers sont nés moralement le même jour, presque à la même heure, tant la délégation publique a été instinctive et manifeste. Assemblée et gouvernement, il faut qu’ils vivent ensemble comme ils sont nés ensemble, et qu’ils poursuivent jusqu’au bout la tâche qu’ils ont entreprise. Entre eux, il s’est formé un lien qui a été le premier jour un mariage d’inclination, qui n’a été peut-être depuis qu’un mariage de raison, et qui reste dans tous les cas un mariage de nécessité. M. Thiers est lié au poste qu’il occupe par le patriotisme, et il le sait bien. L’assemblée est liée au gouvernement qu’elle a créé par un pacte qui n’est pas au-dessus de sa souveraineté, mais qu’elle est intéressée elle-même à maintenir. Sans doute, c’est un phénomène d’un ordre assez étrange que ce régime qui se résume dans un homme à la fois chef de l’état et ministre, régnant et gouvernant, ayant des opinions arrêtées sur tout, sur la guerre, sur les finances comme sur la diplomatie, intervenant dans toutes les mêlées avec l’autorité de sa parole et de son expérience, au risque d’exposer quelquefois le pouvoir qu’il représente aux contradictions, aux froissemens, et de se laisser emporter aux vivacités impétueuses d’une nature que la lutte semble rajeunir. Il vaudrait infiniment mieux qu’il n’en fût pas ainsi, que M. le président de la république ne réunît pas tous ces rôles, qu’il restât un peu plus dans la sphère supérieure où les événemens l’ont placé, et surtout qu’il eût recours un peu moins souvent à ces menaces de démission qui échappent à son impatience dans le feu d’une discussion. Oui, cela vaudrait mieux de toute façon, et pour M. le président de la république, et pour l’assemblée, et pour le pays. Que faire cependant ? Est-ce qu’on peut songer sérieusement à changer les conditions politiques actuelles, ces conditions où la France se repose un instant de tant de meurtrières fatigues et où elle commence à reprendre haleine ? Au fond, voilà la vérité. M. le président de la république, dans l’entraînement d’un discours, peut bien parler de donner sa démission, si on lui refuse ce qu’il demande ; il n’a certainement pas la pensée de mettre sa menace à exécution, et ce qu’il en dit, c’est pour accentuer le sentiment qu’il a de sa responsabilité, le prix qu’il attache à ses opinions. L’assemblée, de son côté, peut bien avoir