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que les uns se rendaient en Bohême, il conduisit les autres à Wittenberg. Il y trouva une population depuis longtemps agitée par les écrits de Luther, surexcitée par les discours de Carlstadt. Il se mit en rapport avec ce dernier, qu’il convertit à ses idées. La secte des rebaptiseurs trouva dans la majeure partie des habitans l’accueil le plus favorable, et Storch et Carlstadt étaient devenus en quelques semaines les arbitres du mouvement religieux à Wittenberg. On fit table rase de tout l’ancien culte ; on proscrivit jusqu’à l’enseignement de la théologie, jusqu’à la science, que l’on déclarait chose inutile et contraire à la fin de l’homme. Carlstadt, ce docteur qui avait contribué à l’éclat de l’université, ne rougit pas d’avancer qu’on n’avait plus besoin d’un pareil établissement, et il renvoya ses auditeurs aux champs ou à l’atelier, afin, disait-il, d’obéir à Dieu, qui a condamné l’homme à gagner son pain à la sueur de son front. Le recteur de l’école primaire George Mohr fermait de son côté la classe, et enjoignait aux parens de venir chercher leurs enfans, parce qu’il était inutile d’apprendre. Selon les anabaptistes, la révélation dont Storch s’était fait l’interprète suffisait à tout, et la populace applaudissait à un régime d’égalité qui rabaissait à son niveau les supériorités dont elle était jalouse. Les bourgeois sensés se voyaient impuissans pour arrêter ce délire, et les professeurs de l’université, menacés ou intimidas, restaient muets ; Mélanchthon n’osait lui-même élever la voix. L’électeur de Saxe ne sévissait pas ; il y avait d’ailleurs chez lui une grande indulgence pour les novateurs, aux théories desquels il se laissait facilement prendre. C’était un de ces amis du peuple un peu niais qui ne veulent pas voir le mal et suspecter les intentions des agitateurs pour ne point déranger les rêves généreux qu’ils caressent. Luther fut averti par Mélanchthon de ce qui se passait, et en frémit. Bravant le danger auquel l’exposait la condamnation portée contre lui à la diète de Worms, il quitta en toute hâte la retraite du château de Wartbourg, où il se dérobait à ses ennemis, et accourut dans Wittenberg. Il ne fallut rien moins que sa voix puissante pour réfuter les doctrines qui s’étaient emparées des esprits et calmer cette fureur de réforme. Une réaction s’opéra dans la ville contre Carlstadt et ses adhérens. Storch fut obligé d’abandonner Wittenberg et de promener ailleurs son apostolat.

Luther avait frappé si rudement sur les sectaires, il avait si bien montré dans son langage brutal, mais saisissant, tout le danger de ces doctrines de perdition, ou, pour emprunter ses expressions, il avait si bien mis en garde l’électeur, l’université, le peuple, contre les artifices et les illusions de Satan, que l’anabaptisme aurait peut-être succombé du coup, si le fondateur de la secte n’eût rencontré