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Il faut reconnaître toutefois que les Allemands n’ont pas complimenté l’auteur de l’Année terrible pour ses complaisances ou ses faiblesses envers le parti de l’insurrection : ils n’ont pas affecté, que nous sachions, les sentimens d’humanité qui souffrent cruellement, à vrai dire, dans toutes les guerres civiles ; ils n’ont pas imité en ce point les Anglais, peuple qui ne s’est pas montré si humain quand il s’agissait de lui-même, dans l’Inde par exemple. Cependant l’encens germanique ne nous paraît pas moins intéressé, peut-être même est-il inspiré de calculs moins avouables. Ainsi pourquoi des journaux qui ne sont pas démocrates, à propos de l’Année terrible, relèvent-ils dans M. Hugo la personnalité politique ? Pourquoi renouveler le saint-empire en Allemagne et soutenir dans notre pays un candidat du radicalisme ? Pourquoi dire que « le peuple pourrait se tourner vers les républicains conservateurs et leur reprocher de ne pas confier leurs affaires à un homme dont ils admirent le génie ? » La réponse de ces derniers ne serait pas malaisée ; ils répliqueraient avec un ami du poète, avec Béranger, qui ne s’en cachait pas dans sa correspondance : « Il ne sera jamais un véritable homme politique. » Que veulent-ils donc, ces critiques allemands ? Est-ce qu’ils se ménagent partout, même dans des articles littéraires, des prétextes pour rentrer dans nos départemens évacués ? Nous avons quelque droit d’être défians, et nous voudrions que M. Hugo le fût aussi. Quand il écrit un livre, qu’il prenne garde de fournir une arme contre son pays !

Son œuvre nouvelle ne pouvait être appréciée avec autorité hors de nos frontières ; on voit même qu’elle ne l’a pas été sans arrière-pensée. Est-ce trop présumer de nos forces que d’entreprendre ce qui n’a pas été fait ? Dans tous les temps, sur toutes les œuvres les plus difficiles à juger, une voix au moins a dit la vérité ; cherchez bien, vous la trouverez. Notre ambition serait d’être cette voix qui aura parlé de l’Année terrible sans passion, qui se sera demandé tout simplement ce que vaut l’ouvrage. Examinant l’auteur comme poète, elle pourrait, sans s’exposer au soupçon, lui reprocher d’être sorti souvent de son véritable rôle, et lui demander s’il n’est pas grand temps de faire de sa vie deux parts, l’une qui serait à son parti, l’autre qui appartiendrait à la France entière.

Ce qui nous plaît dans ce recueil, c’est d’abord ce qu’il y a de patriotique et de français, surtout dans la première moitié. Nul n’a rendu avec cette énergique vérité l’angoisse qui nous saisit tous, hommes de toutes les opinions, à la nouvelle de l’affreux désastre, du naufrage de l’armée et de la France. Souvenez-vous de ce grand gémissement de Paris quand il apprit un soir que tous nos soldats, toutes nos armes, toutes nos forces suprêmes et ramassées à la hâte,