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dive, que la crédulité propage, dont la malveillance perfide se fait une arme. Elles font leur chemin, ces fables, bien mieux que si elles étaient des vérités. Elles arrivent de Versailles, elles passent par Paris pour recevoir la dernière façon, elles vont en province, elles font le tour du monde jusqu’à ce qu’elles disparaissent dans le ridicule, non cependant sans avoir créé quelques irritations de plus et sans laisser derrière elles l’impression malsaine de tous les faux bruits. Depuis quelques jours, il faut l’avouer, on s’est montré particulièrement ingénieux dans cette politique de fantaisie et de commérage naturellement combinée de façon à répondre à une certaine disposition des esprits. — N’avez-vous point entendu parler de la grande conspiration monarchique qui a surtout existé dans l’imagination des journaux radicaux ? Pour cette fois, il n’y avait point à en douter, tout était arrangé. On épiait M. Thiers pour le saisir au passage. Le maréchal Mac-Mahon avait donné sa parole et répondait de l’armée. L’illustre et digne soldat de Reischofen avait promis son épée au coup d’état monarchique ourdi dans les conciliabules secrets de la droite, il allait être le Monk de la nouvelle restauration. — Vous n’y êtes pas, disait un autre nouvelliste, il ne s’agit pas du maréchal Mac-Mahon ; il s’agit d’un triumvirat qui servira de transition. Quels seront les triumvirs ? C’est encore un mystère, on le saura bientôt ; dans tous les cas, le président de la république n’a qu’à se bien tenir. — Insigne mensonge ! répondait un troisième personnage tout aussi bien informé, ce n’est pas la droite qui conspire, c’est M. Thiers qui prépare de son côté un coup d’état. Il conspire avec la gauche, il va même jusqu’à tendre la main aux radicaux ; il médite la dissolution de l’assemblée. — Et voilà de quelles billevesées saugrenues on a nourri l’imagination publique pendant quelques jours, en ayant l’air de provoquer les personnes qu’on mettait en cause à s’expliquer sur de si étranges histoires !

Bien entendu, les explications étaient parfaitement inutiles par cette raison fort simple, qu’on ne dément pas des fables de cette nature. Le maréchal Mac-Mahon, sans affectation aucune, a saisi la première occasion d’attester par sa présence chez M. le président de la république la correction de son attitude. La droite peut avoir ses idées de prédilection ou ses griefs, elle peut même compter quelques indiscrets dans ses rangs, sans songer aux conspirations secrètes, et quant à M. Thiers, on peut dire que, si le silence est une nécessité de toute bonne conspiration, il joue étrangement son rôle ; il parle plus que jamais, il n’est occupé qu’à persuader ses contradicteurs par toutes les ressources d’une prodigieuse et infatigable éloquence, — ce qui est une perte de temps, on en conviendra, pour un homme qui médite des coups de force. Toutes ces histoires sont assez ridicules sans doute ; mais voilà à quoi l’on s’expose par ce système d’agitations irréfléchies et de démonstrations vaines. On crée une sorte d’état artificiel où règnent les faux bruits, où l’excitation morale devient une maladie universelle. Qu’est-ce que la politique ainsi