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faite ? Ce n’est plus même une lutte sérieuse gardant son caractère de dignité et de puissance, c’est une mêlée fiévreuse et confuse où l’on perd son temps à s’irriter et à se défier de tout, où l’esprit de parti, profitant de la circonstance, s’embusque derrière toutes les questions, toujours prêt à faire irruption et à dénaturer le plus simple débat.

On le voit bien par tout ce qui se passe depuis quelque temps à l’assemblée. Les députés ne s’en doutent peut-être pas, cela produit à une certaine distance l’effet le plus étrange : on sent que toutes les passions sont sur le qui-vive et n’attendent que le moment d’éclater. Au moindre prétexte, les animosités se font jour et les paroles amères courent dans l’air. Les incidens s’enveniment sans raison et sans profit ; les affaires les plus graves sont souvent compromises ou se traînent péniblement et confusément, parce qu’on discute et on vote sous l’influence obsédante et inavouée d’une arrière-pensée de parti. Le fait est qu’on marche dans une certaine obscurité en s’interpellant parfois assez vivement et sans trop savoir où l’on va. Pendant ce temps, que peut penser l’Europe, qu’on dit toujours occupée à nous regarder ? L’Europe ou plutôt l’Allemagne, dans la personne de M. d’Arnim, était, il y a peu de jours, à la tribune diplomatique de l’assemblée, assistant à une de ces scènes parlementaires où l’esprit de parti se déploie dans tout le luxe de ses inconvenantes fureurs, et M. de Bismarck n’a pu certainement qu’être satisfait en recevant le bulletin qu’a dû lui envoyer son ambassadeur. Puisqu’on est si persuadé que l’Europe nous regarde, on devrait bien s’en souvenir toujours et ne pas renouveler ces spectacles de violences sans dignité dans les momens les plus douloureux. Que dit à son tour le pays ? Le pays ne laisse point visiblement d’être quelque peu étonné et déconcerté en présence d’agitations et de passions qu’il ne comprend pas toujours, qu’il désavoue en quelque sorte par son attitude, par ce goût de paix et de repos intérieur qui est un des symptômes les plus sensibles, les plus caractéristiques, du moment. Le pays est certes fort résigné et soumis ; il ne se plaint pas trop des sacrifices qu’on lui impose et dont il est le premier à sentir la cruelle nécessité ; il n’a aucun sentiment d’hostilité, pas plus contre l’assemblée que contre le gouvernement. Le pays, quant à lui, n’a point de parti-pris, et pour sûr il ne conspire pas, il suivra la direction qu’on lui donnera ; mais il a bien le droit de savoir ce qu’on lui veut, de désirer qu’on s’occupe de ses affaires au lieu d’ajouter aux difficultés qui l’accablent ; il a bien le droit de rappeler ceux qui le représentent au sentiment d’une situation où les compétitions de pouvoir et les luttes d’amour-propre ne sont guère de circonstance, de leur demander de suspendre leurs querelles, d’ajourner leurs espérances, de respecter son malheur, de ne point offrir au monde le spectacle de divisions aussi humiliantes que stériles. Le pays se dit et a le droit de se dire qu’à suivre le système qu’on suit, à soulever à tout propos des problèmes absolument insolubles pour le moment, on ne fait