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ancienne subsistent encore ; mais, dès le temps de la période anglo-saxonne où les chartes les plus anciennes nous permettent de remonter, l’organisation sociale est déjà profondément modifiée. L’inégalité et la distinction des classes se sont introduites. Le manoir s’est constitué et a pris la place de l’ancienne association des cultivateurs égaux et libres. De bonne heure, quelques familles illustres avaient plus de serfs, plus de bétail, et obtenaient une part plus grande dans la répartition. Les chefs de guerre, devenus rois héréditaires, arrivèrent peu à peu à s’attribuer le droit de disposer des terres vagues pour en faire des donations. La terre commune des différens clans, l’ager publicus, le folkland fut considéré comme domaine royal, cyninges folkland, et le roi en disposait soit seul, soit avec le consentement de l’assemblée nationale, du « witena. » Ainsi se développa la propriété privée « enregistrée, » le bokland. Au Xe siècle, même avant la conquête par les Normands, la marche s’était déjà transformée en manoir, quoique ce mot ne fût pas encore en usage. Le pays était couvert d’une foule de domaines, maneria, d’étendue très différente, depuis le maneriolum d’une charrue jusqu’au latifundium de cinquante charrues. Les terres dépendantes du manoir étaient parfois encore entremêlées avec celles des cultivateurs, ou bien elles s’étendaient à côté de celles-ci.

Parmi les cultivateurs, on distingue différentes classes. Il y avait d’abord les villani, dont la condition était semblable à celle du serf russe ; ils avaient une part du sol suffisante pour les faire subsister, mais ils devaient cultiver la terre seigneuriale, faire la moisson, la rentrer, couper les foins. On trouvait ensuite les tenanciers libres, libere tenentes ou tenentes in libero soccagio, et les liberi socmanni, qui ne devaient au seigneur que des prestations moins fortes en nature ou en travail ; le tribut à payer par eux était parfois nominal : il consistait en un chapon, une paire de gants, une fleur. Leur possession était encore l’ancien lot qui devait suffire à l’entretien d’une famille, le hide, la virgata terrœ, dont l’étendue variait de seize à cinquante acres. Ceux qui n’en possédaient plus que la moitié s’appelaient sockmanni dimidii ou dimidii liberi homines. Enfin ceux qui avaient moins de terre encore ou qui en étaient réduits à leur maison étaient désignés par le nom de cotarii, cotmanni, parce qu’ils habitaient une chaumière, kot, d’où cottage. Le seigneur accordait le droit de cultiver des terres en friche moyennant certaines redevances, d’abord en nature, parfois en argent, à partir du XIIIe siècle. Les anciens documens les nomment isti qui tenent de novis essartis. La jouissance de la forêt et du pâturage était restée collective et même indivise entre les habitans du village et le seigneur ; mais celui-ci en avait déjà usurpé le domaine éminent,