Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/694

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’enseignement public : on ne le donne qu’avec indifférence, on ne le reçoit qu’avec ennui. L’intérêt des études devrait augmenter pour l’élève avec les années, et les années ne font qu’accroître le peu de goût qu’il ressent pour elles et l’impatience qu’il éprouve d’en être délivré. Il cherche à sortir au plus vite des établissemens où on le retient, et il n’en sort qu’avec des connaissances superficielles dont au bout de quelques mois il ne reste plus de trace. Lorsqu’un système d’éducation ne donne pas de meilleurs fruits, il est évident qu’il faut le modifier. On aura beau prouver en théorie qu’il est le plus parfait du monde, l’expérience le condamne, et l’expérience est souveraine. Il ne s’agit pas ici, comme on le fait trop souvent, de discuter le mérite d’une méthode d’une façon idéale, par des argumens philosophiques, et de prouver que c’est celle qui convient le mieux à l’homme en général. L’homme en général n’existe pas ; celui que nous connaissons, que nous fréquentons, que nous devons élever, est engagé dans la vie à des conditions particulières, il subit certaines nécessités que ses pères n’ont pas connues, il appartient à une époque spéciale : il faut l’élever pour son temps. C’est donc surtout par les résultats qu’il convient de juger les méthodes, et les faits décident en dernier ressort si l’on doit les conserver intactes ou s’il faut les approprier à des temps nouveaux.

Ainsi posée, la question me semble bien près d’être résolue. Ce n’est pas qu’il soit très aisé de décider exactement quelle est la force des études dans nos lycées. Nous y faisons vivre ensemble deux populations très différentes, et, suivant qu’on observe les quelques élèves qui sont à la tête de la classe ou l’ensemble de leurs camarades, l’opinion n’est plus la même. Dans les lycées de Paris surtout, la préparation à l’École normale et le concours général maintiennent un certain niveau. On y explique du grec assez couramment, ce qui ne se trouve guère ailleurs. Tous les ans, on couronne au concours des copies bien supérieures à celle qui obtint à La Harpe le prix d’honneur, en sorte qu’avec un peu de complaisance on pourrait conclure que nos élèves savent mieux le latin qu’autrefois ; mais l’éducation publique n’est pas faite seulement pour quelques intelligences d’élite, il faut qu’elle convienne au plus grand nombre. Si sur les milliers de jeunes gens qui la reçoivent quelques-uns seulement en profitent, elle manque le but. Ce qui indique la force ou la faiblesse des études, ce ne sont pas ces épreuves réservées à quelques candidats plus heureux et spécialement préparés pour elles, c’est l’examen auquel tous prennent part, c’est-à-dire le baccalauréat ; or, de l’aveu de tous les juges, l’ignorance de la plupart des aspirans au baccalauréat est honteuse, et il faut de véritables efforts d’indulgence pour admettre la moitié des jeunes gens qui s’y présentent. Le plus grand nombre arrive à peine à épeler quelques mots grecs et ne peut écrire quelques phrases d’un latin barbare sans les émailler de fautes.