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avait été désignée d’avance comme médecin de l’hôpital des enfans de Boston ; le dernier a été accepté comme sous-aide par le chef de la clinique médicale de l’hôpital de Zurich, M. le professeur Biermer.

On voit que l’essai qui a été tenté en Suisse par des hommes sans préjugé a été couronné d’un succès éclatant et bien mérité. Il n’y a que le premier pas qui coûte. On avait craint que la promiscuité d’auditeurs des deux sexes ne devînt un embarras pour les professeurs ou même l’occasion de scènes fâcheuses ; il n’en a été rien. L’attitude modeste et sérieuse des jeunes femmes a plutôt exercé une heureuse influence sur le ton qui régnait dans les cours parmi les étudians. Aux examens, elles ont obtenu parfois les meilleures notes ; dans la pratique des hôpitaux, elles ont montré des aptitudes tout à fait remarquables. Cette expérience de huit années répond victorieusement aux cris d’alarme que pousse le physiologiste Bischoff dans une brochure publiée sur ce sujet. M. Bischoff commence par avouer qu’il n’a jamais admis, qu’il n’admettra jamais une femme à ses cours ; il raisonne sur des hypothèses et s’inspire d’opinions préconçues sur le rôle des femmes dans la société. A l’en croire, l’art médical entre les mains du sexe faible tomberait nécessairement au niveau d’un métier, sans compter que cette ingérence des femmes dans des fonctions essentiellement dévolues aux hommes offense la pudeur. Hélas ! s’il fallait chasser du temple tous les médecins pour qui leur art n’est qu’un métier, la carrière serait bientôt singulièrement délaissée. D’un autre côté, le succès même des femmes instruites qui dans divers pays se livrent à la pratique médicale est un argument irréfutable en faveur d’une innovation qui n’a rien de contraire aux mœurs modernes. La réputation médicale de Mme Garret-Anderson à Londres, des sœurs Blackwell à New-York, prouve suffisamment que les femmes peuvent réussir sur ce terrain où il s’offre à leurs aptitudes spéciales plus d’une occasion de se développer. Par le succès indéniable de l’expérience hardiment tentée à Zurich, un jalon se trouvé posé pour la solution d’un important problème social. On avait d’abord espéré que les universités allemandes se montreraient aussi libérales que Zurich ; la pruderie inattendue que plusieurs ont montrée en cette circonstance a rejeté sur la Suisse tout le fardeau de la tentative, et il s’est produit à Zurich Un encombrement d’élèves féminins qui fait hocher la tête à plus d’un vieux professeur. Cependant l’exemple qu’on a sous les yeux encouragera des essais analogues, et l’innovation, en cessant d’être une exception, perdra les inconvéniens qu’elle peut encore offrir.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.