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légitime que chaque gouvernement fournissait contre lui en substituant ses propres vues à celles qui l’avaient accueilli à sa naissance.

Nous l’avons dît déjà : « on prétend que toutes les expériences politiques dont un pays est susceptible ont été faites dans notre pays. Eh bien ! non, toutes les expériences n’ont pas été faites ; l’expérience décisive, fondamentale, ne l’a pas été, à savoir l’expérience du gouvernement du pays par lui-même[1]. » C’est cette expérience que nous devons tenter aujourd’hui. Je sais ce qu’on nous répondra. Qui vous garantit, diront les uns, que le pays ainsi abandonné à lui-même ne voudra pas précisément ce que vous déclarez funeste et illusoire, à savoir le gouvernement aristocratique et clérical, ou bien le gouvernement militaire ? — Qui vous assure, diront les autres, que le pays, trompé par les démagogues, ne tombera pas entre leurs mains, et qu’il n’ira pas se perdre dans les folies du communisme ? Ainsi, par une crainte réciproque, vous voyez d’un côté les conservateurs et de l’autre les radicaux montrer une défiance semblable à l’égard du pays. Ils sont tout prêts à le proclamer souverain quand il leur donne raison ; ils le récusent, s’il leur donne tort. Assurément nous ne prétendons pas avoir le don de prophétie, et nous ne savons pas préjuger ce que le pays décidera en dernier ressort ; mais nous demanderons toujours de quel droit un parti se déclarera plus éclairé que la nation tout entière ; en supposant que la majorité devienne favorable à tel système plutôt qu’à tel autre, de quel droit une minorité se réserverait-elle les avantages de l’autorité ? Que l’on y songe ; si l’odieuse tyrannie qui a souillé Paris ne peut être comparée à aucun gouvernement du passé, pas même au comité de salut public, puisqu’au moins celui-ci, malgré sa cruauté, a eu une grandeur de patriotisme qu’on ne peut pas oublier, — si ce gouvernement plat et bas n’a été qu’une parade gouvernementale, parce qu’il est tombé entre des mains ineptes et homicides, cependant il faut reconnaître qu’en principe cette tourbe pouvait se croire aussi autorisée à usurper le pouvoir que tel ou tel parti. Parce qu’un parti occupe un rang plus ou moins distingué dans la hiérarchie sociale, il n’a aucune raison de se croire le droit d’accaparer le gouvernement de la société. Cela étant, il est impossible de prendre en bloc tel parti plutôt que tel autre comme arbitre suprême et exclusif des destinées du pays. C’est dans ce qui constitue la moyenne des partis que doit être cherché le point d’appui des gouvernemens. Or cette moyenne, c’est la souveraineté nationale librement consultée et respectueusement obéie qui la trouvera. Fiez-vous-en à elle sur ce point. Elle n’a aucun préjugé de secte, elle redoute toutes les

  1. Voyez la Revue du 15 janvier dernier.