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renversement d’idées ! Quoi ? voilà un parti qui a toujours été à l’état insurrectionnel et révolutionnaire ; ce parti se discipline, se régularise et se pacifie, pas assez sans doute à mon gré, mais enfin dans une notable mesure ; il devient constitutionnel et ministériel : dès lors tout est perdu ! Il paraît qu’il est nécessaire, dans l’intérêt de l’ordre, que les démocrates conspirent ! Ne voyez-vous pas, nous dit-on, que, si les démocrates se font modérés, c’est par hypocrisie ? Eh bien ! puisse cette hypocrisie durer le plus longtemps possible ! L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu, et souvent on prend l’habitude de ce dont on n’a que l’apparence. Que les amis du désordre fassent semblant d’aimer l’ordre, ce sera déjà bien. D’ailleurs de quel droit suppose-t-on que cette modération est un mensonge ? Pourquoi les radicaux ne supposeraient-ils pas à leur tour que l’amour de la liberté dont se prévalent les conservateurs n’est aussi qu’un mensonge ? — Mais c’est ce qu’ils disent. — Soit ; ces deux reproches s’annulent et se valent. Il ne reste en présence que deux partis, cherchant à se calomnier réciproquement, comme il est juste, et suivant les lois bien connues de la polémique politique. C’est le cas où le pays est juge et renvoie chacun dos à dos.

Encore une fois, le parti du désordre quand même n’est en France qu’une infime minorité, qui, réduite à elle seule, sera toujours impuissante. Tout parti qui a la chance légale d’arriver au pouvoir devient par là même un parti conservateur ; tout parti qui voit le pouvoir s’éloigner de lui devient un parti révolutionnaire. Cela est vrai de la droite comme de la gauche, de la gauche comme de la droite. On a toujours reproché à la gauche sa tendance à l’opposition systématique. N’y a-t-il pas aujourd’hui une droite qui fait de l’opposition systématique ? On a reproché à la gauche son esprit brouillon et remuant ; où est aujourd’hui l’esprit brouillon et remuant ? Les oppositions sont les mêmes, qu’elles soient d’un côté ou de l’autre, et réciproquement le goût de l’ordre vient naturellement à ceux qui sont appelés à disposer du pouvoir. — La gauche, dit-on encore, a toujours fait des insurrections. — Eh bien ! que se passe-t-il donc en Espagne aujourd’hui ? N’est-ce pas la rébellion au nom du droit divin ? Qu’est-ce que la Vendée ? Qu’est-ce que Strasbourg et Boulogne ? Et plus anciennement encore qu’est-ce que la fronde et la ligue ? Grands, nobles, église, armées, tous les pouvoirs, tous les partis, ont pris les armes pour leurs intérêts. Nous sommes habitués à n’associer l’idée de rébellion qu’à celle de démocratie, et celle d’anarchie qu’à celle de liberté. C’est une grave erreur. L’ancienne histoire française n’est que l’histoire de la guerre civile. Les révolutionnaires d’alors, c’étaient les nobles, c’étaient les