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prêtres, c’étaient les magistrats. L’esprit de désordre est de tous les temps et dans tous les camps.

Si les partis comprenaient maintenant leurs véritables intérêts, ils se placeraient au point de vue de leurs adversaires, au lieu de s’enfermer et de s’aveugler dans leurs propres préjugés. Les conservateurs se feraient républicains et les républicains se feraient conservateurs. Aristote nous dit dans sa Politique qu’il y avait en Grèce des républiques aristocratiques où les magistrats, en entrant en charge, prêtaient le serment suivant : « je jure de faire le plus de mal possible au peuple. » Ce n’était pas là ce qu’il fallait dire selon Aristote ; on devait dire au contraire : Je jure de faire le plus de bien possible au peuple. Réciproquement dans les démocraties, au lieu de prêter serment contre les riches, il eût voulu que les démocrates eussent dit : Je ne souffrirai pas qu’on fasse aucun tort aux riches. Ces conseils nous sont aujourd’hui singulièrement applicables. Les partisans de l’ordre, au lieu de combattre la démocratie, devraient se mettre à sa tête ; les partisans de la démocratie devraient être fanatiques de l’ordre. Malheureusement un tel désintéressement de point de vue est difficile à la nature humaine[1]. Chacun abonde en son sens et ne voit que les erreurs de ses adversaires. La vérité n’est que d’un seul côté, et naturellement de celui où nous sommes. C’est au pays à s’affranchir des passions des partis et à leur faire la loi. C’est à lui d’imposer, quand le moment en sera venu, la république aux conservateurs et l’ordre aux républicains.


PAUL JANET.

  1. Il n’est que juste cependant de reconnaître les progrès qui se sont tentés en ce sens. C’est ainsi que le centre gauche se compose de conservateurs devenus républicains, et la gauche de républicains de plus en plus conservateurs. C’est la voie dans laquelle il faut marcher. — Voyez à ce sujet le travail récent de M. E. Duvergier de Hauranne (Revue du 1er août).