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arrachaient des pleurs aux rudes mineurs de la Cornouailles et suspendaient l’activité des villes commerçantes. Un sang nouveau fut inoculé dans l’église anglicane ; des églises indépendantes se formèrent par milliers, des sociétés religieuses de propagande furent fondées, entre autres la grande Société biblique britannique et étrangère, qui a traduit les livres saints dans toutes les langues connues pour les répandre sur toute la surface du globe. Le contre-coup de cette agitation se fit sentir dans le protestantisme européen, surtout à partir de 1820 ; de la Suisse romande, il passa en France, et vint secouer la torpeur de l’église réformée. Il y produisit des résultats très différens : tout d’abord il poussa hors des cadres les plus ardens ou les plus pressés, qui fondèrent des églises indépendantes ; celles-ci bientôt dégagèrent en quelque sorte de ce qui n’avait été qu’un fait accidentel le grand et fécond principe de la séparation de l’église et de l’état. Elles se sont donné une organisation qui rappelle dans ses traits essentiels celle de l’ancien protestantisme français. Elles ont leurs conseils presbytéraux, leur synode, leur profession de foi ; unanimes à refuser le salaire de l’état, elles croient devoir payer la rançon de leur liberté en vivant des offrandes des fidèles. Quoique faibles en nombre, elles ont exercé une très grande action sur le protestantisme français.

L’église officielle fut elle-même de bonne heure travaillée par l’esprit nouveau. Le supranaturalisme incolore dont on s’était contenté parut tout à fait insuffisant, et on se jeta par réaction dans une orthodoxie fervente et étroite, qui reproduisait bien plutôt la scolastique protestante du XVIIe siècle que la doctrine de la réforme primitive. Sous ces formules rigides brûlait pourtant une flamme d’enthousiasme et de zèle qui poussait à une activité féconde, et tout d’abord à la fondation de sociétés de propagande pour la mission extérieure et intérieure. La prédication prit un caractère incisif ; elle atteignit à l’éloquence la plus haute et la plus passionnée avec Adolphe Monod. Peu à peu les idées s’élargirent ; le fond du christianisme fut conservé, mais on accepta le progrès théologique, et d’importans travaux marquèrent cette évolution. L’ancien rationalisme n’avait pas désarmé devant l’esprit nouveau ; bien au contraire, il s’était constitué en école, — le réveil religieux lui fut toujours profondément antipathique. Tout en gardant ses doctrines supranaturalistes, il opposait à l’orthodoxie fermement arrêtée de ceux qui s’appelaient les chrétiens évangéliques une doctrine de tolérance universelle, qui réduisait de plus en plus le protestantisme au libre examen. Cette tendance fut représentée dans l’église de Paris pendant près de quarante ans par M. Coquerel avec une verve que l’âge ne put affaiblir.