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Les dissentimens entre les deux fractions de l’église protestante devinrent bien plus graves quand le rationalisme modéré et timide du commencement du siècle fut remplacé par une tendance hardie et radicale qui transporta presque sans transition en France les résultats les plus audacieux de la critique et de la spéculation allemande. Un recueil fondé à Strasbourg par M. Colani fut l’organe de la nouvelle école, qui fit de nombreuses conquêtes. Comme l’organisation de l’église officielle ne fournissait aucun moyen de lui fermer les chaires, elle put agir par la prédication comme par la presse. Peu à peu elle élimina tous les mystères de la foi, tous les miracles ; les plus hardis contestèrent non-seulement la résurrection du Christ, mais sa parfaite sainteté. Le christianisme ne fut plus une religion révélée, on n’y vit qu’une simple évolution de l’humanité. L’un des plus brillans adeptes de l’école formula la vraie pensée de son parti en écrivant dans un livre sur Lessing que Jésus-Christ aujourd’hui n’aurait pas été chrétien, ce qui revient à dire qu’il ne se serait pas donné comme l’objet de la foi, mais qu’il se serait contenté de prêcher sa doctrine à Jérusalem comme Socrate l’avait fait à Athènes. L’originalité de la nouvelle école n’est pas dans ces négations, qu’elle n’a point inventées, et qui la confondent absolument avec la libre pensée contemporaine ; elle est dans son désir sincère d’appartenir encore à l’église chrétienne et d’y accomplir les actes du culte tout comme si elle croyait toujours au surnaturel, qui est impliqué par ces actes et positivement affirmé dans les liturgies. Sa théorie ecclésiastique est bien simple : l’église protestante ne doit pas avoir de symbole fixe, elle doit s’ouvrir à toutes les tendances ; c’est de ce chaos doctrinal que la lumière jaillira tous les jours. Une pareille anarchie n’est possible que dans une église purement administrative, car une association morale dépendant d’elle seule ne supporterait pas un jour cette guerre intestine. Voilà pourquoi le parti avancé a toujours combattu tout ce qui tendait à imposer des conditions religieuses soit à l’électorat, soit à l’enseignement. Entre les deux partis tranchés, une tendance fort respectable a essayé de continuer les traditions de l’ancien supranaturalisme. Elle est naturellement très effacée, on ne s’aperçoit de son existence que dans les jours de lutte, où elle fait son apparition pour tendre une main secourable au parti avancé au nom de la liberté des opinions ; son éternel rameau d’olivier n’a servi trop souvent qu’à empêcher les discussions d’aboutir à un résultat. Elle a néanmoins joué un rôle important au synode et y a déployé de remarquables facultés.

Pendant les trente dernières années, les luttes entre les partis de l’église réformée ont pris de jour en jour plus de vivacité. On composerait une bibliothèque avec les livres et les brochures