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tombeau de ton bien-aimé. — Je le voudrais, mais cela n’est pas possible, la destinée ne lui a point donné de tombeau. Le honvéd que j’aimais est resté sur le champ de bataille. »

Eh bien ! cette note lugubre ne paraît pas avoir dominé dans les âmes hongroises. Loin de là, il semble que l’on ait eu plus que jamais confiance en une patrie durable et vivace. Dans le comitat de Pesth, près de la capitale, on murmurait ce chant de défi : « L’Autrichien dit : Il n’y a plus de Hongrie. Il en a menti, l’Autrichien, la Hongrie sera toujours. » On attribuait à Kossuth ces adieux pleins d’espérance : « O Dieu adorable, écoute ce que ma nation implore de toi. Le dernier mot du Magyar est : que la patrie soit bénie ! Le ciel est bien obscur, mais après la pluie l’arc-en-ciel ! »


Kossuth, Bem et Perczél avaient pu s’enfuir en Turquie, et la Sublime-Porte refusa de les livrer. Depuis lors, le grand agitateur a fait retentir l’Angleterre, et en dernier lieu l’Italie, de sa douleur patriotique. Ceux qui restaient répétaient du fond de leur âme un chant religieux dont le refrain était : « je crois en Dieu, je crois en un Dieu juste et vengeur. » Une nation peut toujours vivre quand elle a confiance en elle-même, — telle est la morale qui se dégage de cette étude. La Hongrie, qui semblait hors d’état de se relever après une pareille lutte, n’a jamais perdu la foi en l’avenir, et cette foi profonde a été finalement récompensée. Les Magyars ont obtenu, parmi leurs nombreuses exigences, tout ce qui était vraiment raisonnable. Et pourtant rien ne manquait au malheur de ce pays en 1849, ni l’occupation étrangère sur le sol tout entier, ni la chute du drapeau national, ni les impôts énormes, ni l’oppression, ni la discorde. Pourquoi donc une nation qui subit une partie seulement de ces misères et qui a sauvé son unité politique s’abandonnerait-elle au découragement ? Pourquoi ces défaillances systématiques, cette volonté de tout prendre en mauvaise part ? Pourquoi toujours sourire ou lever les épaules ? Qu’une nation conserve le ressort moral et qu’elle soit digne de l’espérance, elle vivra.


EDOUARD SAYOUS.