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Goethe croyait à ces phénomènes magnétiques, à ces voix que les âmes entendent à travers l’espace, il avait entretenu lui-même avec les absens ces communications mystérieuses. C’était, suivant lui, un privilège des natures d’élite, il ajoutait ainsi un trait de plus à la distinction d’Ottilie. Le sort de la jeune fille serait désormais fixé ; elle vivrait d’une vie intérieure, cachée à tous les yeux, enfermée dans ses chers souvenirs ; à défaut du bonheur, elle trouverait du moins le repos et cette douceur amère que répand en nous la satisfaction du devoir accompli, si l’impétueuse passion d’Édouard ne venait la poursuivre jusque dans la solitude.

Édouard n’a su ni dominer son amour, ni renoncer à l’espérance ; la naissance même de son fils ne le ramène point à Charlotte ; pour échapper au trouble de son âme, il a cherché dans la guerre une diversion puissante, il s’est exposé à de nombreux périls ; mais il revient de l’armée plus amoureux que jamais, plus décidé que jamais à briser les obstacles qui le séparent d’Ottilie. On dirait qu’il l’a conquise en s’exposant pour elle, comme au temps où les chevaliers gagnaient la faveur des dames à force de prouesses. Il exprime sa résolution au capitaine avec la véhémence habituelle de son langage. Quant à moi, lui dit-il, après les dernières épreuves que j’ai traversées, après les travaux pénibles, dangereux que je me suis imposés pour les autres, je me sens aussi autorisé à faire quelque chose pour moi. Ce que je veux, ce qui m’est indispensable, je ne le perds point de vue. Je saurai m’en emparer, et ce sera certainement bientôt.


III

C’est cette inflexible persistance de la passion d’Édouard qui continue le roman. S’il exerçait plus d’empire sur lui-même, la situation des différens personnages redeviendrait ce qu’elle était au début ; après une courte erreur, chacun se résignerait, comme Ottilie se résigne, non à effacer le souvenir de tout ce qui s’est passé, mais à ne plus faire revivre l’illusion d’un moment. L’exemple d’Édouard prouve une fois de plus que la passion détruit ceux qui s’y livrent, que le bonheur ne s’acquiert qu’au prix de la modération et du sacrifice. Goethe l’a répété bien souvent ; il ne le montre, nulle part avec plus de force que dans le dénoûment des Affinités électives. Pour n’avoir voulu ni se modérer, ni se contenir, Édouard court à sa perte avec une fureur aveugle. Chacun de ses pas le rapproche du malheur qui sera son châtiment. Malgré les objections de son ami, il persiste à croire que Charlotte acceptera le