Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/884

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

divorce, il supplie le capitaine d’épouser sa femme, et l’envoie en députation auprès d’elle pour l’y décider ; puis, devançant par la pensée l’événement qu’il désire, impatient d’entendre un signal qui doit lui annoncer du château le succès de sa demande, il pénètre dans le parc par des sentiers de chasseurs et arrive à l’endroit où Ottilie est assise sous les grands chênes, ayant à côté d’elle l’enfant de Charlotte endormi. Il se précipite à ses pieds ; elle lui montre l’enfant, il répond qu’entre elle et lui il n’y a plus désormais d’obstacles, que Charlotte va consentir au divorce, et qu’en ce moment-là même elle promet peut-être sa main à un autre. Les heures se passent dans une douce causerie, dans les joies du revoir après tant d’épreuves et une si longue absence, lorsque Ottilie s’aperçoit la première que le jour va finir. Le soleil a déjà disparu derrière les montagnes, les grandes ombres du soir s’allongent sur la terre.

La jeune fille croit reconnaître dans le lointain la robe blanche de Charlotte au balcon de la maison ; elle sait que l’enfant est attendu avec impatience, qu’on s’inquiète peut-être de ne pas le voir encore, et en proie à une agitation fiévreuse, pour abréger le chemin, elle se jette dans une barque ; elle évitera ainsi les détours d’un sentier qui longe le lac. Malheureusement son cœur palpite, ses mains tremblent ; en voulant éloigner le bateau du rivage elle fait un faux mouvement, l’enfant qu’elle tenait sur son bras tombe dans l’eau, et quand elle l’en retire, il ne donne plus signe de vie.

L’âme pure d’Ottilie ne se consolera pas de ce malheur, ne se pardonnera pas d’avoir privé Charlotte et Édouard de leur unique enfant. Elle aura d’autant moins d’indulgence pour elle-même qu’elle s’accuse d’avoir écouté de nouveau les promesses d’Édouard, d’avoir encore une fois espéré avec lui. Après avoir enlevé à Charlotte son fils, elle ne supporte pas l’idée de lui enlever en même temps son mari. Tout est fini désormais entre elle et Édouard ; elle le veut, elle le dit, elle le jure. L’obstination d’Édouard à nourrir sa passion, à revoir la jeune fille malgré elle, ne fait que précipiter le dénoûment. Tant d’émotions ont épuisé Ottilie : ses forces déclinent ; on s’en aperçoit, on essaie de la ranimer et de la soutenir, mais on ne sait pas que depuis quelque temps elle se nourrit à peine, que depuis quelques jours elle ne prend plus aucune nourriture. Elle meurt ainsi d’inanition et de faiblesse sans qu’on ait pu la secourir ni même deviner la gravité de son mal. Goethe se sépare de la pure jeune fille avec une poétique mélancolie, comme s’il perdait lui-même un être aimé. « De douces vertus que la nature avait naguère tirées de son sein fécond étaient soudain anéanties par sa main