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du double emploi pourraient se faire sentir à côté d’avantages insuffisans pour les compenser.


Félix Lucas.



LES INSTITUTIONS MILITAIRES EN FRANCE.
La Réforme militaire, par M. le comte de Rioncourt, 1871. — II. Insuffisance des pensions accordées aux militaires blessés, par le même, 1872. — III. Les Ambulances de Paris pendant le siège, par M. Alexandre Piedagnel, 1872, 2e édition.


Pendant les quatorze siècles de son existence, la vieille monarchie française n’a pas compté vingt années de paix consécutive. Les guerres féodales, les guerres civiles et religieuses, les guerres étrangères ont tour à tour ravagé le royaume ; nous sommes de tous les peuples de l’Europe celui qui s’est le plus souvent et le plus longtemps battu, et, par une singulière imprévoyance, nous nous sommes toujours laissé devancer, en fait de recrutement, d’armement, d’améliorations matérielles, par les adversaires contre lesquels nous avions à lutter. Il y a là, entre le passé et le présent, une analogie qu’il est bon de signaler, car depuis les désastres des temps féodaux jusqu’aux désastres de la dernière invasion les mêmes causes ont produit les mêmes effets.

Dans la première période de la guerre de cent ans, nos armées ne sont qu’une cohue désordonnée, inconditum agmen, comme dit Tacite en parlant des armées gauloises. Elles ne connaissent aucune discipline ; elles vivent de pillage, créent la famine partout où elles passent et meurent de faim sur la terre qu’elles sont chargées de défendre. Les Anglais au contraire sont admirablement pourvus sous le rapport du matériel et de l’armement ; ils marchent accompagnés de convois de vivres, de forges, de fours de campagne, d’équipemens de rechange[1] ; au lieu de former comme les nôtres un assemblage confus de contingens féodaux et municipaux, ou de mercenaires étrangers, commandés par des chefs indépendans les uns des autres, leurs divers corps de troupes sont reliés entre eux par une forte hiérarchie. Leurs archers lancent à 200 mètres des flèches qui percent les armures de fer, tandis que notre pédaille se bat avec des épieux, des coutelas ou des bâtons. Charles V leur emprunte une partie de leur organisation ; il crée les francs-archers, discipline la cavalerie, change la tactique en donnant aux armes de jet la supériorité sur les armes de main, et, grâce à des mesures sagement combinées, aux améliorations introduites dans toutes les branches du service, il jette les Anglais hors du royaume ; mais à sa mort tout retombe dans le chaos. La noblesse s’inquiète de ces soldats des paroisses « qui surmontaient, dit Juvénal des Ursins, les Anglais à bien tirer, et qui eussent été plus puissans que les princes et les seigneurs,

  1. Froissart, ch. 441, intitulé : « Cy comman les seigneurs d’Angleterre menaient avec eux toutes choses nécessaires. »