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REVUE. — CHRONIQUE.

s’ils se fussent mis tous ensemble. » On n’en conserva qu’un petit nombre dans quelques villes privilégiées ; on désarma les autres ; la cavalerie féodale reprit sa prépondérance et son indiscipline, et la défaite d’Azincourt vint nous apprendre, comme à Crécy et à Poitiers, que le courage ne suffit pas pour gagner des batailles. Jeanne d’Arc devina avec l’intuition du génie la cause de nos revers ; avant de combattre, elle organisa avec des hommes d’élite, bien équipés, bien disciplinés, l’armée de la délivrance. Les états-généraux, éclairés par son exemple, demandèrent en 1430 la création d’une force régulière et permanente ; leur vœu se réalisa quelques années plus tard par l’établissement des compagnies d’ordonnance et la reconstitution des francs-archers, ce qui donna un effectif de 27 000 hommes placés sous les ordres « de capitaines vaillans et saiges, rotiers et experts en fait de guerre et ayant de quoi perdre, » c’est-à-dire de capitaines qui se trouvaient en qualité de propriétaires directement intéressés à la défense du pays. La victoire resta fidèle aux compagnies d’ordonnance, comme aux armées de Charles V et de Jeanne d’Arc, car, ainsi que le disait le maréchal de Villars à Louis XIV : « Sire, je connais vos sujets : on peut tout faire avec eux quand ils sont bien armés, bien nourris, bien commandés. »

À dater du règne de Charles VII le Victorieux, la France a toujours eu sous les armes un corps de troupes réglées ; mais la pénurie des finances ne permettait pas de maintenir en temps de paix l’effectif sur un pied respectable. Lorsque la guerre éclatait, il fallait tout créer, et, comme la noblesse était seule astreinte au service obligatoire, le recrutement présentait de grandes difficultés. L’institution des légions provinciales par François Ier, celle des milices par Louis XIV, ne donnèrent point les résultats qu’on pouvait en attendre. Les efforts tentés par l’ancienne monarchie pour former une armée nationale et unitaire échouèrent l’un après l’autre, et sous Louis XVI, sur les 130, 000 hommes qui constituaient notre effectif, les mercenaires étrangers comptaient encore pour un cinquième. Sauf quelques rares époques, la question de l’armement, de l’équipement, des services de campagne, de l’instruction spéciale a toujours laissé beaucoup à désirer. Une partie de nos fantassins était armée de piques, quand la plupart des autres fantassins de l’Europe étaient armés de mousquets ; à Steinkerque, les gardes anglaises avaient des fusils à silex, quand les gardes françaises n’avaient encore que des fusils à mèche. À Rosbach, nous faisions des feux de billebaude, où chaque soldat s’avançait de trois pas hors du rang pour tirer, quand les Prussiens avaient les feux de marche et tiraient par pelotons et par bataillons. Les premiers arsenaux de l’état ne datent que de François Ier, les premières ambulances de Henri IV, les premiers hôpitaux militaires de Richelieu, le premier code militaire de Louis XIV, les premiers essais de casernement de Louis XV. Quelques-uns de nos rois et de nos ministres ont réalisé dans notre organisation de très notables progrès ; mais