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le bien qu’ils ont fait tenait exclusivement ! à leur personne. Chaque fois, que la mort est venue les frapper ; leur œuvre a disparu, en même temps qu’eux, et Louvois est presque le seul qui ait laissé après lui des institutions durables.

La guerre de 1870 a offert un nouvel et bien triste exemple des dangers auxquels nous ont exposés tant de fois déjà notre fausse sécurité, notre excessive confiance dans notre courage, notre ignorance de ce qui se passe au-delà de nos frontières. Les peuples comme les individus se corrigent par le malheur, et le soin avec lequel sont étudiées aujourd’hui les questions qui se rattachent à l’avenir de nos armées prouve que la douloureuse expérience de nos désastres ne sera point perdue. Une vaste enquête est ouverte sur les institutions des diverses puissances européennes, et chacun se fait un devoir d’apporter à l’œuvre de la réorganisation le concours de son patriotisme et de ses lumières.

L’auteur de la Réforme militaire, M. le comte de Riencourt, n’appartient pas à l’armée ; mais il a rempli dans la diplomatie des fonctions importantes : il a beaucoup vu, beaucoup observé, et longtemps avant 1870 il avait été frappé de l’énorme disproportion des forces que la France et l’Allemagne pouvaient mettre en ligne. Au moment de la guerre de Crimée, il avait fallu de grands efforts pour mobiliser immédiatement cinq divisions. Après la paix de Paris, on sentit la nécessité d’organiser une réserve, et l’organisation nouvelle fut encore très défectueuse. En Italie, on eut beaucoup de peine à faire entrer en campagne cinq corps d’armée, soit environ 145 000 combattans effectifs. Sadowa fit naître de justes appréhensions ; cependant on se rassurait en se disant que la population de la France étant à peu de chose près égale à celle de l’Allemagne, on serait toujours en mesure de maintenir l’équilibre. Les faits donnèrent un cruel démenti à cet imprévoyant optimisme, et, comme le dit avec raison M. de Riencourt, c’est avant tout dans la différence d’organisation des deux armées et leur force numérique qu’il faut chercher la cause la plus directe de nos revers. Nous sommes entrés en ligne avec 200 000 hommes : nos réserves étaient. si mal constituées qu’elles n’avaient pu rejoindre leurs régimens ; nos bataillons, qui devaient être de 800 hommes, en comptaient à peine 400. Les Prussiens, au contraire s’avançaient avec 450 000 combattans effectifs, derrière lesquels 300 000 autres étaient masses sur toutes les routes qui convergent vers la France, et ceux-ci en avaient encore derrière eux 500 000 prêts à les suivre. Pendant toute la durée de la campagne, les vides qui se produisaient dans les rangs étaient immédiatement comblés, et au moment de la conclusion de l’armistice chaque compagnie d’infanterie prussienne avait encore ses 250 hommes comme au moment de l’entrée en campagne. Aujourd’hui le problème du nombre est résolu par le service obligatoire ; mais il reste les cadres qu’il faut mettre en rapport avec la nouvelle organisation, l’instruction spéciale, la discipline à laquelle il