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chercher, comme nous, dans la difformité grotesque, ils la trouvaient dans la nature même, dont ils rendaient les aspects comiques sans rien lui ôter de son charme et de sa vérité.

Décidons-nous enfin à rendre hommage aux patriotiques intentions de M. Bartholdi, avec qui nous sommes pressés de régler nos comptes pour n’avoir pas à y revenir. Son petit groupe de bronze, la Malédiction de l’Alsace, est sans contredit une des plus mauvaises choses de cette exposition. L’Alsace, sous les traits d’une femme âgée, étend le bras pour maudire ; un de ses fils, frappé à mort, expire dans ses bras, tandis qu’un enfant accroupi à ses pieds se cache sous sa jupe en jetant au loin des regards d’épouvante et de haine. Mieux vaut décrire la scène que de parler de l’exécution, à la fois déclamatoire, extravagante et molle. Quant au buste à deux têtes de MM. Erckmann et Chatrian, malicieusement surnommé par les mauvais plaisans le buste des frères siamois, on se demande véritablement si c’est une caricature manquée ou si l’auteur a pu commettre de sang-froid une pareille monstruosité. On dirait un de ces spécimens qui ornent le devant des baraques de la foire, accompagnés d’inscriptions pompeuses et de légendes fantastiques. On s’attriste de voir tomber ainsi des hommes de talent qui ont obtenu d’importantes récompenses et qui ont mérité l’honneur d’être placés hors de concours. De telles chutes sont affligeantes pour ceux qui ont le respect de l’art, et c’est avec chagrin que la critique est obligée de les enregistrer.


V

Nous arrivons à présent aux deux œuvres capitales du salon de sculpture, à celles qui excitent le plus de controverses et soulèvent ; le plus de passions dans le monde des arts. Laquelle faut-il mettre au premier rang ? Est-ce le David de M. Mercié ? est-ce le Spartacus de M. Barrias ? Chacun a ses partisans déterminés, et chacun représente un système. Il est difficile en effet de voir deux ouvrages plus différens : l’un, plein de sérénité, d’harmonie, de force élégante, rappelle les jeunes héros et les jeunes dieux du paganisme ; l’autre, tourmenté, brutal, exagéré, cherche les contrastes violens, les attitudes forcées, les effets dramatiques : c’est, si l’on veut, le romantisme moderne aux prises avec le génie classique.

C’est au David que nous donnerions la palme ; il est de race bien plus noble et de port bien plus royal que son concurrent. Après tout, le Spartacus est d’extraction servile, héros, si l’on veut, mais un peu héros du bagne, ne respirant que la haine, le blasphème et la révolte. Ce David au contraire, ce jeune guerrier au cœur intrépide et au front calme, remettant tranquillement dans le fourreau