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l’épée avec laquelle il vient de décapiter le géant Goliath, est bien le héros élu de Dieu pour être le ministre de sa vengeance. Il a quelque chose de la superbe indifférence d’un saint Michel vainqueur du dragon, ou plutôt, car M. Mercié est un peu païen dans son art, d’un Thésée vainqueur du Minotaure. Debout dans une attitude simple, aisée, et toute d’une seule venue, il élève son épée de la main droite en tenant le fourreau de la main gauche ; la tête suit harmonieusement le mouvement des épaules et des bras ; le pied droit, rejeté en arrière, foule négligemment la tête monstrueuse de son ennemi vaincu. Le torse est d’une facture, admirable, l’aplomb de toute la figure d’une aisance et d’une légèreté merveilleuses. L’œil se promène avec une sorte de volupté sur ces belles formes si pleines, qui s’élancent d’un seul jet, comme la tige d’un arbre sain et vigoureux. Quelques défauts, pourtant très visibles, ne nuisent pas trop à cette magnifique harmonie. Ainsi la jambe gauche, sur laquelle le corps repose, est un peu contournée de face, un peu lourde de profil, et le pied gauche est tourné trop en dedans ; la rotule est trop bossuée, trop saillante, ainsi que la tête de l’os fémoral. Il y a encore quelques autres marques d’exagération juvénile. Enfin les bras, qui semblent rapportés, ne sont pas en parfaite harmonie avec la figure, et ne s’accordent pas tout à fait avec le mouvement général. Quoique exécutés avec un grand soin et avec une minutie de détails qui ressemble beaucoup à un moulage sur nature, ils paraissent maigres, heurtés, un peu confus, et ils sont bien loin de valoir le reste de la statue. Que cette expérience apprenne à M. Mercié à moins se défier de ses forces, et à dédaigner désormais l’emploi des procédés mécaniques, qui sont quelquefois secourables aux artistes sans talent, mais ne valent jamais pour les artistes bien doués la libre imitation de la nature.

M. Mercié, disions-nous tout à l’heure, est un païen ; pourtant ce n’est pas un Grec, c’est plutôt un Florentin de la renaissance. Son David est une œuvre toute florentine, et qui pourrait prendre place sans indignité auprès du Persée de Benvenuto Cellini. Sa Dalila au contraire n’a pas grand’chose de la renaissance, ou plutôt elle appartient à ce genre de renaissance corrompue qui fleurit encore aujourd’hui dans l’école italienne. C’est un buste de femme en bronze verdâtre, avec des traits moins séduisans qu’étranges, d’une coupe asiatique et un peu éthiopienne, un nez ramassé, à la fois aplati et recourbé, les lèvres épaisses et proéminentes, d’une expression méchante et bestiale. Les ornemens sont bizarrement prodigués dans la chevelure, autour du cou, sur la tunique même ; ce vain luxe d’accessoires et de colifichets prétentieux ne sert qu’à éparpiller la lumière et à détourner l’attention du visage, d’ailleurs sans grand caractère et sans vif intérêt. C’est une de ces œuvres