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d’être refrénées par les armes. Ce qu’ils revendiquaient avant tout, c’était la liberté complète dans l’ordre spirituel, liberté que le luthéranisme enchaînait d’une main après l’avoir donnée de l’autre. Grebel et les théologiens qui se rattachaient à ses enseignemens repoussaient les opinions de Luther sur la justification, lesquelles portaient, selon eux, atteinte à l’existence du libre arbitre ; ils se proposaient d’affranchir la société de l’autorité politique aussi bien que de l’autorité religieuse, la voulaient constituer de façon à se passer de tout gouvernement civil, de toute institution législative, n’acceptant d’autre code que la Bible, d’autres lois que ses préceptes, réprouvant l’emploi du serment, refusant de comparaître devant les tribunaux, de recourir à aucune des justices établies, supprimant la propriété individuelle et s’imaginant qu’ils amèneraient les hommes à s’unir par le seul lien de l’amour et de la foi. Si un tel plan de rénovation impliquait la destruction totale de l’ordre de choses jusqu’alors universellement accepté, les anabaptistes zurichois n’entendaient pas pour cela l’imposer par la violence. Pénétrés de l’esprit de l’Évangile, ayant toujours présentes à la pensée les paroles du Christ à saint Pierre lorsque celui-ci tira l’épée au jardin des Oliviers, ils ne manifestaient que des internions pacifiques, ne comptaient pour atteindre leur but que sur la persuasion et l’exemple, donnant eux-mêmes le modèle en petit de l’organisation qu’ils promettaient à l’humanité. Aussi ces sectaires, quoique ayant eu leur part dans les excitations qui poussèrent les paysans de la Suisse et ceux de l’Allemagne à la rébellion, se tinrent-ils à l’écart du grand mouvement insurrectionnel de 1525. Ils durent à cette conduite de n’être point compris dans les poursuites auxquelles étaient exposés les instigateurs et les complices de la révolte ; ils purent continuer une propagande qui devait préparer dans l’empire germanique un nouveau soulèvement, ressusciter un parti religieux qui semblait à tout jamais écrasé. L’anabaptisme suisse fournit le noyau d’une nouvelle école de réformateurs radicaux qui, comme la première, se perdit par ses exagérations et ses fureurs, après avoir ouvert un moment une libre carrière au fanatisme et à l’anarchie. Dans ses effets, cette secte peut être comparée à un feu caché sous la cendre et qui, mis tout à coup au contact de l’air libre, lance avant de s’éteindre quelques vives étincelles. Le vent de la révolte s’étant levé derechef en Allemagne, l’anabaptisme, qui couvait sous les restes fumans de l’insurrection des paysans, se ranima subitement et jeta une dernière lueur d’incendie.