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pittoresques ne manquent pas cependant, mais il faut se donner la peine de les chercher et souvent assez loin. Trois de ces paysages surtout méritent une attention particulière ; ceux d’Avallon, de Vezelay et de Semur en Auxois. Il est vrai que c’est à peine si la Bourgogne peut revendiquer les paysages d’Avallon et de Vezelay, car la proximité du Morvan, dont ils forment la frontière, les rattache en partie à une autre province; en revanche, elle peut se vanter du panorama de Semur, et l’opposer victorieusement aux voyageurs qui se hâteraient trop de proclamer son infériorité pittoresque.

Ceux qui voudront jouir d’une des plus instructives surprises que puisse donner aujourd’hui un voyage en France doivent soigneusement se garder d’arriver à Semur par une autre route que celle d’Avallon. Le spectacle rare et frappant d’une ville du moyen âge se présente alors aux regards, aussi entier, aussi complet que purent l’avoir les contemporains de ces temps reculés. Ce n’est pas là ce moyen âge en ruines, semblable à un cadavre en décomposition ou à un amas de débris mélancoliques dont nous avons si souvent contemplé le tableau quasi funèbre; c’est un moyen âge tout neuf en quelque sorte, sans altération ni mutilation, vivant, robuste, d’aspect viril, exempt de marques de sénilité, et comme conservé à souhait pour engendrer une des illusions les plus proches de la réalité qui se puissent concevoir. Semur a cela de particulier que, bâtie sur une éminence, elle ne se laisse pourtant apercevoir que de très près, masquée qu’elle est par un monticule qui lui fait face et sur les flancs duquel serpente la route. Tout à coup au dernier tournant de ce monticule qui lui sert de rideau, elle découvre brusquement son attitude et son aspect, à la fois hardis, agrestes et négligés comme ceux d’une ville qui se sentirait à l’abri de l’espionnage de ses environs. Solidement assise sur le faite d’un rocher, elle laisse nonchalamment pendre ses jambes tout le long de la colline, et va plonger ses pieds jusqu’à l’affreux Armançon, qui quelquefois les lave et le plus souvent les salit. En bas, deux poternes énormes, reliées entre elles par une maçonnerie massive dont la solidité n’a subi aucune ébréchure, et percées dans toute leur épaisseur de deux ouvertures étroites et quasi défiantes, offrent l’accès de la ville qu’elles défendaient autrefois. Involontairement, lorsqu’on s’engage sous ce passage voûté, l’on se retourne pour voir si les portes ne se sont pas refermées derrière soi; on dirait deux énormes chiens de garde qui, ayant cessé de mordre et d’aboypr, ont encore conservé l’habitude de grogner à tout passant et de bâiller en découvrant des crocs démesurés dont ils ne savent plus se servir. En face des poternes, un pont gaîment à cheval sur l’Armançon relie les deux collines et présente un spécimen on ne