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peut mieux choisi de ce que furent les promenades des bourgeois d’un autre âge, habitans de villes dont les portes se fermaient avec le couvre-feu et qu’ils ne pouvaient en conséquence jamais perdre de vue. C’est un décor à peu près semblable qu’on imagine pour certaines scènes du Faust de Goethe, par exemple celle où le docteur, perçant avec son fidèle Wagner les groupes populaires, fait la rencontre du barbet magique, et je l’indique aux décorateurs de l’avenir pour le cas où l’on essaierait chez nous une interprétation fidèle du célèbre drame.

Cette physionomie du moyen âge est tout extérieure cependant, et ne se continue pas dès qu’on a dépassé les poternes. Semur est une ville complètement renouvelée et dont les maisons, sans caractère d’aucun genre, n’ont d’autre prétention que celle de loger les habitans. Contraste curieux, cette ville, dont l’aspect extérieur est tout féodal, donne dès qu’on y est entré l’impression de la plus bourgeoise et de la plus démocratique des cités. Aucune trace d’influence dominatrice ne s’y fait remarquer, aucun souvenir d’un passé même récent ne semble conservé chez ses habitans. On dirait même que de tout temps les bourgeois de cette petite cité ont eu ce dédain des jours écoulés qui est très particulier aux populations démocratiques. Dès qu’on cherche l’explication du détail le plus simple, on ne la trouve qu’avec difficulté. Les archives de Semur ont été détruites dans un incendie, et il ne paraît pas qu’on se soit jamais donné beaucoup de peine pour les reconstituer, ou du moins pour arracher à l’oubli ce qu’on pouvait sauver de la tradition. Toutes les villes de Bourgogne ont eu leurs historiens locaux; Semur seule semble n’avoir pas eu souci de conserver mémoire d’elle-même. Le seul écrit de quelque valeur qui ait été composé sur cette ville a, par une négligence presque inexplicable, dormi jusque ces derniers mois parmi les manuscrits de la bibliothèque : c’est un essai historique à la fois rapide et circonstancié écrit aux approches de la révolution française par le marquis Ponthus de Thiard. Enfin un éditeur intelligent s’est rencontré pour tirer de l’oubli ces pages uniques où restent fixées nombre de particularités et de détails qu’on chercherait vainement ailleurs. Ce miroir est bien exigu et bien imparfait sans doute, mais c’est le seul qui existe, et c’est un devoir pour nous d’avertir les amateurs de curiosités historiques que le précieux manuscrit, désormais livré à l’impression, forme depuis quelques semaines un joli petit volume qu’on peut se procurer à peu de frais[1].

  1. Nous ne saurions assez remercier M. Verdot, libraire-éditeur à Semur, de l’obligeance qu’il nous a montrée en nous révélant l’existence du manuscrit de Ponthus de Thiard et en nous envoyant à Paris même les bonnes feuilles de sa publication.