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nous ont laissées; mais le sentiment qui se dégage de cette œuvre est un sentiment de génie, car il nous rend encore présentes les passions de l’époque, et nous les fait partager comme si nous étions des contemporains. Toute l’ardeur des guerres de religion est dans cette fresque, qu’elle anime de ses emportemens et de son vacarme. Les dieux sont en conseil; oh que ce conseil est agité et présage de tempêtes! Tous les orages de Jupiter, toutes les hautes marées de Neptune, tous les volcans de Platon sont là menaçans et visibles. C’est la chaude confusion, l’inquiétude fébrile, le brouhaha tapageur, qui précèdent les heures de grandes crises, l’adoption des mesures de colère, les départs précipités, les prologues des affaires violentes en un mot. Ici, Vénus et Mars sont engagés dans un colloque qui n’a plus l’amour pour objet, et qui visiblement se rapporte à des préoccupations plus austères; derrière eux, Vulcain donne ses ordres et surveille les travaux de ses cyclopes, qui forgent et frappent l’enclume avec l’activité des jours d’urgence. Y aura-t-il jamais assez de foudres pour Jupiter, de tridens pour Neptune, de flèches pour Apollon, de coulevrines, de cuirasses, d’arquebuses, de glaives et d’éperons pour Mars et ses soldats? Au centre, le jeune Mercure, complètement nu, un mignon sans rien d’efféminé, semble en proie à une colère bouillante, car il fait avec la main le geste de jeter quelque chose contre terre pour l’écraser et le briser. Que de messages, que de courriers, que de communications pressantes supposent cette véhémence et cette pantomime agitée! Sur le second plan, Jupiter soulève sa foudre avec une expression d’un sérieux redoutable; il n’attend plus que la minute précise où il devra la lancer. Non loin de lui s’élève, au-dessus d’un groupe serré et confus, le dieu Janus; l’un de ses visages est celui d’un vieillard vénérable, l’autre est celui d’une femme; il n’est pas difficile de reconnaître dans ce Janus hermaphrodite un irrévérencieux symbole huguenot de la cour de Rome, centre, but et mobile de toute cette agitation. Ailleurs, quelques-uns des grands dieux, entre autres le sombre Platon et l’aquatique Neptune armé de son trident, regardent le spectacle que nous venons de décrire avec une curiosité sympathique; le premier acte, dirait-on, ne les regarde pas, et ils attendent l’heure où leur tour viendra d’entrer en scène et de prendre part au drame qui va se jouer. C’est en particulier le cas pour Neptune, qui ne soulèvera la tempête de l’Armada que bien des années après; c’est aussi le cas pour Hercule, que voici tout près de lui armé de sa massue, trapu et musculeux comme un portefaix, velu comme un ours mal léché, vraie figure de sauvage au sourire bestial, symbole de cette force populaire qui va déployer ses fureurs dans les journées de la