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nécessité de retarder d’un jour le départ de l’armée, le délégué à la guerre répondait cavalièrement le 29 au matin : « Ainsi que M. Gambetta vous l’a télégraphié cette nuit, nous avons dû, en présence de votre dépêche d’hier au soir, dix heures vingt, renoncer à la magnifique partie que nous nous préparions à jouer, et que, selon moi, nous devions gagner ;… puisque nous devons renoncer à vaincre étant deux contre un, alors qu’autrefois on triomphait un contre deux, n’en parlons plus… » Le commandant en chef demandait vingt-quatre heures, on lui répondait par un ordre d’ajournement indéfini, et on s’attribuait l’honneur d’avoir préparé une « magnifique partie » d’un succès infaillible, en rejetant sur le général la responsabilité d’un succès manqué ! Voilà qui promettait.

Tout d’ailleurs en ce moment servait à compliquer cette entrée en campagne d’une armée nouvelle. Aux difficultés matérielles venaient se joindre deux circonstances politiques ou militaires d’une extrême gravité, la négociation que M. Thiers allait ouvrir à Versailles pour arriver, s’il le pouvait, à un armistice, et la capitulation de Metz. Évidemment M. Gambetta, dans son impatience d’action, subissait plus qu’il n’acceptait la mission de l’homme éminent qui depuis un mois avait parcouru l’Europe dans l’intérêt de la France, et qui venait de rentrer à Tours. M. Gambetta, sans oser refuser absolument son adhésion à une tentative que la Russie et l’Angleterre favorisaient, que le gouvernement de Paris désirait, M. Gambetta ne voulait point au fond de l’armistice, puisqu’il repoussait l’élection d’une assemblée qui était pour le moment l’unique objet d’une trêve possible, et il ne voulait pas de l’élection d’une assemblée parce qu’il craignait que le pays, fatigué ou troublé, se prononçât pour la paix, peut-être contre la république. Dans ces conditions, aux yeux des meneurs de la guerre, à Tours, le voyage diplomatique de M. Thiers à Versailles était un contre-temps, et c’est pour cela sans doute qu’ils auraient voulu voir le mouvement de l’armée assez engagé déjà pour dominer ce qu’ils appelaient entre eux les « fausses manœuvres » de la diplomatie. M. Gambetta et son délégué, M. de Freycinet, attribuaient les hésitations du général d’Aurelle au passage de M. Thiers à travers les lignes françaises dans la journée du 28. Le général d’Aurelle n’avait pas vu M. Thiers, il ne savait de la mission de l’illustre négociateur que ce que tout le monde pouvait en soupçonner. Il n’est pas moins clair que le seul fait du passage d’un plénipotentiaire français à travers les lignes pouvait et devait, jusqu’à un certain point, réagir, ne fût-ce que moralement, sur la marche des opérations.

Quant à la capitulation de Metz, le général d’Aurelle l’avait connue en effet le 28 octobre au soir, non par M. Thiers, qu’il n’avait