Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/302

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peuvent plus et n’en veulent plus. » Il n’y avait plus rien à faire, tout était fini. A quatre heures, le général d’Aurelle prenait définitivement sa résolution ; il laissait au général Des Pallières le soin de protéger l’évacuation, de tenir les Prussiens en respect, de négocier au besoin avec eux pour épargner à la ville d’Orléans l’horreur d’un assaut, et lui-même il organisait la retraite sur Salbris, il ne s’éloignait qu’après avoir donné tous les ordres nécessaires, après avoir mis toutes ces forces confuses en mouvement. Pendant qu’il s’épuisait à rallier ses troupes et à les maintenir, le gouvernement de Tours annonçait à la France que le général d’Aurelle avait cru devoir abandonner Orléans, quoiqu’il lui restât « une armée de plus de 200,000 hommes, pourvue de 500 bouches à feu, retranchée dans un camp fortifié, armée de pièces de marine à longue portée… » Le gouvernement insultait ainsi à la vérité, et ses agens en province, commentant sa pensée, parlaient dans leurs proclamations de cette retraite inexpliquée de l’armée de la Loire « sans combat, sans lutte, sans défaite,… et sur l’ordre d’un chef qu’on avait appris à connaître… » Naturellement on enlevait au général d’Aurelle le commandement de ses troupes et on l’envoyait surveiller « les lignes stratégiques de Cherbourg, » — ce qu’il s’empressait de refuser. La première armée de la Loire avait cessé d’exister.

Je veux résumer la moralité de cette sanglante tragédie où éclate à chaque pas le conflit de toutes les directions. Au premier instant, la défensive autour d’Orléans est réclamée par les généraux comme une condition de succès, comme le meilleur moyen de préparer la marche sur Paris. Les chefs militaires demandent au moins qu’on n’étende pas trop les lignes d’opérations, qu’on rassemble le plus possible les troupes dont on dispose. On ne tient aucun compte de leur opinion, on dissémine les forces, on fait des plans de campagne, on prétend diriger des expéditions. Tant qu’on croit encore au succès, on se réserve le droit de commander des corps d’armée. Le jour où les affaires commencent à se compliquer, on se hâte de rendre au général en chef un commandement dont on ne sait plus que faire. Lorsque la défaite irrémédiable éclate comme une conséquence fatale des fausses directions qu’on a voulu donner, on rejette tout sur le chef dont les avertissemens ont été inutiles. Plus d’une fois en fouillant jusqu’au fond cette cruelle histoire, je me suis demandé si ces généraux n’auraient pas mieux fait de maintenir dans leur intégrité les droits du commandement militaire, s’ils n’auraient pas dû se retirer plutôt que d’exécuter les ordres légers ou dangereux qu’ils recevaient, s’ils n’avaient pas été enfin eux-mêmes les victimes de cette habitude d’obéissance, que vingt années d’empire avaient développée au point d’éteindre chez les hommes l’esprit d’initiative et d’indépendance. Non, ce n’était pas