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et vous voyez d’un coup d’œil les conséquences que cela entraîne par la facilité avec laquelle notre nation se porte vite du commencement à l’excès de tout. » Les lettres imprimées du comte de Saint-Germain ne sont pas moins précises ni d’une vérité moins poignante. « La misère du soldat est si grande qu’elle fait saigner le cœur ; il passe ses jours dans un état abject et méprisé, il vit comme un chien enchaîné que l’on destine au combat… Cette guerre ne peut avoir qu’une fin malheureuse ; nos armées seront chassées avec des vessies. » Qu’on se figure maintenant à la tête de ces soldats, qui volent pour subsister, des généraux « d’une avarice sordide, d’une âpreté insatiable, » qui pillent pour s’enrichir, exploitent la guerre comme une affaire et avilissent par leurs « infamies » le commandement, compromis par leur insuffisance. L’armée s’était détruite par son désordre même, presque sans coup férir ; l’hiver, les maladies, une bataille perdue, une retraite précipitée, l’achevèrent. Abandonnant 20 000 malades et la moitié de son artillerie, elle repassa le Rhin a dans un délabrement inexprimable, » que peint d’un trait ce mot du prince de Clermont, le vaincu de Crevelt : « nous n’avons plus que le souffle d’une armée. »

On a tout dit sur l’incapacité des généraux de la guerre de sept ans ; déjà en 1742, pendant la guerre de la succession d’Autriche, le maréchal de Noailles avait signalé au roi l’abaissement des vertus et des talens militaires dans la noblesse, et comme une diminution de l’âme héroïque de la France. Ce fut bien pis quinze ans plus tard, quand une politique d’étourdis jeta sur les champs de bataille ces générations abâtardies par les plaisirs de Paris et les intrigues de cour. Les lettres des Richelieu, des Clermont, des Soubise, ne réhabilitent en aucune façon ces tristes héros ; elles semblent partir de la même main, tant elles expriment des idées du même ordre, et trahissent des caractères de la même trempe. Verbeuses et plates, noyées dans les récriminations et les apologies, uniquement occupées du qu’en dira-t-on de Versailles, pas une conception un peu militaire ne s’y fait jour, pas un élan du cœur ou de l’esprit ne vient animer et relever ce bavardage monotone : un rien déconcerte, agite à l’aventure les pauvres têtes de nos généraux grands seigneurs ; la moindre difficulté les met aux champs, ils n’ont de verve que pour se plaindre et accuser les autres ; le temps se passe en explications, en atermoiemens ; ils soupirent tous après la fin de la campagne, atteints de la nostalgie de leurs quartiers d’hiver. Bernis, qui avait cependant quelques bonnes raisons pour excuser la médiocrité en faveur, ne peut retenir son indignation et son dégoût. « Tous nos généraux demandent à revenir, ce sont les petites-maisons ouvertes. Dieu nous préserve des têtes