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légères dans le maniement des grandes affaires, et Dieu préserve les conseils des rois des petits esprits qui ne sentent pas la disproportion qu’il y a entre leur rétrécissement et l’étude des grands objets ! Nous sommes, mon cher comte, dans une vraie pétaudière. » L’invariable bulletin des « reculades » et des déroutes le fait bondir. « En vérité, notre haut militaire est incroyable !… Mon Dieu, que nous avons de plats généraux ! mon Dieu, que notre nation est aplatie ! Et qu’on fait peu d’attention à la décadence du courage et de l’honneur en France ! » Des généraux, le mal avait gagné les rangs secondaires et descendait jusqu’aux derniers degrés du commandement. Bernis, Saint-Germain, Bellisle, d’accord en cela comme en tout, reprochent à l’officier sa paresse et son ignorance. « Il ne sait rien et ne s’applique à rien. Dans cent régimens, on ne trouverait pas six bons lieutenans-colonels. Nous ne savons plus faire la guerre, nulle nation n’est moins militaire que la nôtre, il n’y en a pas une qui ait moins travaillé sur la tactique. Nous n’avons pas même une bonne carte des Vosges. On dirait que chez nous tout est en démence… Nos officiers ne valent rien, ils sont indignes de servir. Tous soupirent après le repos, l’oisiveté et l’argent. Il faut refondre le militaire pour en tirer parti. » Les bons sujets, épars dans cette décadence, opprimés sous le privilège, végètent ou quittent l’armée. « Nos meilleurs officiers, n’ayant point de protection à la cour et voyant qu’il n’y a aucun avancement pour eux à espérer, ne peuvent supporter d’être commandés par des blancs-becs… Comment de jeunes colonels, la plupart avec des mœurs de grisette, rappelleront-ils dans le militaire les sentimens d’honneur et de fermeté qui font la force des armées ? Ignorance, frivolité, négligence, pusillanimité, sont substituées aux vertus mâles et héroïques. Il y a ici un dégoût qui ne se peut rendre. Il faut refondre la cloche. »

Autre fait significatif, qui donne à ce tableau une couleur moderne : la fermentation politique, si ardente à Paris, avait envahi les camps. Attaquée par toutes les contagions à la fois, l’armée, cette image fidèle du pays, reproduisait avec la licence des mœurs la discorde de l’esprit public. Les cabales de l’intérieur s’agitaient sous le drapeau : on frondait le gouvernement qu’on servait si mal, on blâmait tout haut une guerre qu’on était chargé de conduire, on se vengeait d’avoir été battu en faisant de l’opposition. Nos généraux de cour, humiliés de la tutelle que leur impose la cour, accablés de plans tout faits, de combinaisons décidées en conseil des ministres, se révoltent contre leurs mentors. « Vous m’avouerez, monsieur, écrit Richelieu en décembre 1757, que le carafon de neige dans lequel je suis à la glace n’est pas un état favorable pour