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stadt, Hiklesheim, les belliqueux évêques, armés de la crosse et du sabre, qui avaient imposé aux Saxons, sous peine de mort, la dîme et l’abstinence du vendredi. En revanche, c’était dans les profondes vallées du Harz, sur le sinistre plateau de Brocken, que s’étaient réfugiés les dieux de la Teutonie, anathématisés par l’église. Quedlinburg avait été bâti par Henri l’Oiseleur pour tenir en respect les Slaves et les Hongrois. Magdeburg avait été la citadelle de Henri le Superbe et de Henri le Lion dans leurs éternelles campagnes contre les Obotrites et les Wendes. Si dans les turbulens et belliqueux Hessois revivaient ces rudes Catti de Tacite, qui déjà dans la Germanie ancienne donnaient l’exemple de la discipline militaire, traitaient la guerre comme un art, portaient des anneaux de fer en signe d’emprise et ne se rasaient qu’après avoir tué un ennemi, le Brunswick à son tour rappelait ces orgueilleux Welfs, qui avaient reculé à l’orient les frontières de l’Allemagne et disputé l’empire aux Barberousses. Ce royaume de Jérôme, berceau de l’antique Germanie, noyau du saint-empire allemand, avait été aussi le centre de la réforme, le champ de bataille entre l’Autriche et les princes de Hesse et de Saxe, entre Charles-Quint et Philippe le Magnanime, entre Rome et Luther. A Smalkade, les protestans s’étaient confédérés contre la maison de Habsbourg; à Mülhausen, les paysans insurgés avaient été massacrés par les seigneurs; Magdeburg se souvenait de sa belle résistance au vainqueur de François Ier et des épouvantables cruautés de Tilly; — de Mansfeld, de Brunswick, étaient sortis ce terrible Ernest qui, avec une poignée d’aventuriers, tint en échec la fortune de Ferdinand II, et cet indomptable Christian qui avait inscrit sur ses étendards « ami de Dieu, ennemi des prêtres. »

Et, par un étrange caprice de la fortune, c’était un Français, du pays le moins germanique de France, de l’île de Corse, c’était le fils d’un avocat d’Ajaccio qui venait asseoir son trône sur la terre des Arminius et des Witikind, qui succédait aux princes des Cattes et des Chérusques, aux empereurs saliques et aux empereurs saxons, aux Welfs et aux Hohenzollern, aux abbés et aux évêques-princes, aux comtes d’empire et aux magistrats des villes libres. C’était lui qui recueillait le fruit des conquêtes de Charlemagne, des prédications des missionnaires chrétiens, de la courageuse résistance des landgraves luthériens. C’était pour lui que Henri le Lion et Henri l’Oiseleur avaient bâti ces forteresses. À cette même frontière de l’Elbe, c’était lui qui était chargé, sous un nouvel empereur d’Occident, de défendre l’Allemagne des Ottons contre les Prussiens, héritiers des Slaves, et les Autrichiens, successeurs des Hongrois.


ALFRED RAMBAUD.