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alors encore à l’apogée de sa puissance, qu’une suite d’événemens connus de tout le monde avait fait éclore et grandir. Le mariage de Ferdinand et d’Isabelle en avait assuré l’unité territoriale; les découvertes du Nouveau-Monde lui apportèrent des trésors, des domaines et un prestige inattendus; par la conquête de Grenade fut couronnée cette lutte de huit siècles où l’Espagne, en défendant sa religion, son indépendance et son sol, préserva l’Europe de l’invasion musulmane, fortifia le caractère de ses peuples et fonda ses libertés politiques. Après ce grand effort sur elle-même, l’Espagne étendit son influence extérieure par un vaste mouvement d’expansion qui lui donna pied en Italie et lui ouvrit le foyer le plus actif alors de l’intelligence européenne, foyer d’où partait la direction de la chrétienté. Enfin un grand mariage unit l’héritière de Ferdinand le Catholique au fils de l’empereur Maximilien, et lui porta le riche héritage des ducs de Bourgogne. Charles V, successeur tout à la fois de la maison d’Aragon et de Castille, de la maison de Bourgogne et de la maison de Habsbourg, obtint de plus l’empire germanique et se trouva le plus puissant souverain de l’Europe. Il put songer à la monarchie universelle qu’il se flatta d’avoir fondée un jour, et se portant en Allemagne le défenseur armé du catholicisme attaqué, il tenta de rétablir le saint-empire du moyen âge ; la papauté courba le front devant son orgueil. De grands échecs et la résistance de nos rois suspendirent plutôt qu’ils ne renversèrent ses desseins, repris, après son abdication, par son fils Philippe II, qui, quoique héritant de la moitié de ses états seulement, sembla le légataire direct de l’ambition et de l’influence de Charles-Quint en Europe.

Sous Philippe II, l’Espagne atteignit au plus haut point de sa grandeur, mais toucha aussi au commencement de sa décadence. Ce prince, qui avait pu espérer de réunir la couronne d’Angleterre à celles dont sa tête était chargée, reprit les projets de son père en les agrandissant. Il se proposa d’établir sa domination en Europe en appliquant sa puissance au triomphe du catholicisme, dont la cause s’accordait avec ses penchans et avec ses intérêts, et il remua l’Occident pour parvenir à ses fins. L’Angleterre lui avait échappé par la mort prématurée de la reine Marie, il tourna tous les ressorts de sa politique vers la France, où la lutte ardente du catholicisme et de la réforme prêtait une large ouverture à ses intrigues et à ses désirs, ne reculant d’ailleurs devant aucun moyen pour arriver à son but, et bravant les malédictions humaines pour obtenir le succès de ce qu’il croyait être la cause de Dieu. A certaine heure où il craignait l’apaisement de la guerre civile en France, il faisait écrire par son lieutenant le duc d’Albe à la reine Catherine de Mé-