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côté, on l’accuse d’avoir été infidèle à la pensée qui l’a porté au pouvoir, de s’être placé en dehors de la majorité de l’assemblée. On a répété cela si souvent qu’on a fini par se le persuader. Comment donc M. Thiers aurait-il réussi à résoudre ce problème, à moins de faire un coup d’état ? M. Dufaure le disait l’autre jour avec bon sens dans un comice agricole de la Charente-Inférieure : « On prétend que le président gouverne contre les volontés de l’assemblée. Cela n’est ni vrai ni possible, il a dans l’assemblée des adversaires résolus, persévérans ; mais il n’y a pas une grande résolution qui n’ait été prise d’accord avec la majorité… » Même depuis qu’il a prononcé ce mot de « république conservatrice, » est-ce que M. Thiers a été désavoué par la majorité ? Est-ce qu’il a rencontré un sentiment de défiance formulé dans un vote décisif ?

Cette majorité dont on parle sans cesse, où est-elle ? Qui peut la revendiquer pour l’opposer au gouvernement ? On sent bien qu’on est dans une fausse situation. Seulement il s’est trouvé des casuistes nouveaux qui viennent de découvrir un dernier expédient. M. Thiers est l’élu de l’assemblée, il gouverne en son nom, il a rendu d’immenses services, et personne ne peut songer à lui donner au moment présent un successeur, soit ; mais depuis qu’il s’est prononcé pour le maintien de la république, au lieu d’observer entre les partis la neutralité qu’il avait promise, tout est changé, il ne peut plus rester au pouvoir le jour où le pays lui-même devra décider de son sort par des élections. Il faut dès aujourd’hui songer à ce nouveau provisoire. — Nous ne savons nullement dans quelles conditions se feront les élections prochaines, quand on aura le temps d’y penser, quand l’étranger ne foulera plus un fragment du soi national. Imagine-t-on cependant un pays allant à une telle crise sans gouvernement, avec une assemblée nécessairement affaiblie, puisqu’elle sera sur le point de disparaître, et avec une sorte de gérant anonyme des affaires ou de lieutenant de police placé là pour la circonstance ? Est-ce tout ce qu’on a pu découvrir de mieux ? Est-ce ainsi qu’on pense garantir la liberté des élections ? Les hommes de la droite s’émeuvent de leur impuissance, ils se débattent pour en sortir, c’est leur rôle. Qu’ils regardent en eux-mêmes, autour d’eux ; ils verront comment, par une sorte de réaction contre une série de fausses démarches, ce problème du gouvernement définitif qu’ils croyaient tenir dans leurs mains en est venu à se résumer dans ce dialogue significatif récemment engagé entre le général Chanzy parlant au nom des conseillers du département des Ardennes et M. Thiers prenant lui-même la plume pour répondre au vaillant soldat dont le centre gauche de l’assemblée a fait son président. Le général Chanzy demande à M. Thiers de persévérer dans la voie qu’il a suivie jusqu’ici, et au bout de laquelle est la seule solution possible, « une république conservatrice. » M. Thiers répond qu’il continuera sa laborieuse tâche dans l’esprit qui paraît approuvé par le pays et où il est décidé à persévérer.