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taires. On cite cependant, même dans les villes, de grandes et riches familles qui vivent sous le régime de la communauté (zadruga). Par exemple, dans l’île de Lussin piccolo, la famille Vidolitch se composait de plus de cinquante membres; elle faisait de grandes affaires de négoce et de transport maritime. C’est un type curieux de l’ancienne communauté agraire transportée dans un milieu complètement différent.

Dans les provinces slaves de la Hongrie, après 1848, un esprit d’indépendance et de mouvement s’empara de la population tout entière, et amena la dissolution de beaucoup de communautés. Les jeunes ménages voulaient vivre isolés et indépendans, et réclamaient le partage, auquel les lois ne mettaient point obstacle. Le patrimoine commun était morcelé, et il se forma ainsi une classe de petits cultivateurs dont la condition fut d’abord assez malheureuse. Le pays n’était ni assez riche ni assez peuplé pour que la petite culture intensive de la Lombardie ou de la Flandre pût y réussir. L’Autriche traversait une période de crises; les contributions étaient subitement presque doublées, et le recrutement enlevait les jeunes hommes valides. Beaucoup de ces petits cultivateurs isolés furent obligés de vendre leurs parcelles de terre et de gagner leur salaire comme journaliers. Pour mettre fin à un morcellement qui allait, craignait-on, ruiner les campagnes, on crut devoir décider qu’en cas de partage la ferme appartiendrait à l’aîné, et on fixa en même temps un minimum au-dessous duquel on ne pouvait point diviser les lots de terre arable. La construction des chemins de fer, l’extension sans cesse croissante des relations commerciales, les idées nouvelles qui pénètrent dans les campagnes, en un mot toutes les influences de la civilisation occidentale contribuent à détruire les communautés de familles en Croatie, en Slavonie et dans la Voivodie. Elles continuent à subsister dans les Confins, parce que la loi en fait la base de l’organisation militaire, et au sud du Danube, parce que dans ces régions écartées elles sont en rapport avec les sentimens et les idées de l’époque patriarcale, qui y sont encore en pleine vigueur.

Les hommes les plus éminens parmi les Slaves méridionaux, comme le ban Jellatchich, l’archevêque d’Agram, Haulik, et Strossmayer, l’éloquent évêque de Diakovàr, ont vanté les avantages du régime agraire de leur pays. Ces avantages sont réels. Ce régime ne s’oppose pas aux améliorations permanentes et à l’emploi du capital, comme la communauté de village avec partage périodique. Chaque famille a son patrimoine héréditaire, qu’elle a autant d’intérêt que le propriétaire isolé à rendre productif. Grâce à ce système, tout cultivateur prend part à l’a propriété du sol. Chacun peut se vanter, comme disent les Croates, d’être domovit et imovit,