femme supérieure ! » Quel douloureux retour sur lui-même impliquent ces paroles de Byron!
Lord Byron et Shelley vécurent pourtant de belles heures côte à côte; le lac, tout proche, offrait carrière à leur navigation : « beau lac, t’en souviens-tu? » On s’embarquait le soir à la clarté des étoiles, et tandis que la brise enflait la voile, leurs âmes silencieuses se comprenaient. S’il y a toujours en ce monde un être devant lequel le poseur le plus imperturbable redevient simple, pour lord Byron, ce maître en l’art de se détendre, ce professeur d’humanité fut Shelley. Cette nature de sensitive le ramenait involontairement. On assure qu’il n’est point de cheval indomptable à la main d’une femme, certaines âmes affectueuses doivent avoir ce don d’apaisement, disons mieux, d’intimidation. L’impétueux Byron avait appris à se contenir devant ce délicat jeune homme, à rentrer, à taire ses colères, dont l’essor allait reparaître bientôt dans Manfred et dans ce troisième chant de Childe-Harold, qui, non moins que la tragédie de Caïn, portent la trace du passage de Shelley. Au demeurant et en dépit de leurs prédications libérales, deux grands aristocrates que ces fiers penseurs : odi profanum vulgus et arceo ! Même devise, que chacun accentue à sa manière, celui-ci d’un ton âpre, arrogant, parfois inhumain, celui-là d’un air de romanesque rêverie, mais qui jusque dans l’attendrissement laisse vibrer la note dure. Byron ne parle d’amour qu’avec des paroles de haine, fait les doux yeux à ces démons de l’existence qu’il pourchasse et caresse à la fois, tandis que Shelley, dont l’idéal mystique est la transfiguration même de l’existence, les combat en se noyant dans le pur éther. C’est dans son Prométhée délivré qu’il faut admirer le triomphe de ce symbolisme. L’esprit a vaincu la matière; à force d’amour et d’acharnement à la lutte, l’humanité s’est reconquise. Ce poème de la rédemption universelle vint au jour parmi les ruines des bains de Caracalla, dans Rome, où fut aussi composé le drame des Cenci, « la plus belle œuvre de la tragédie moderne, au dire de Byron, et point indigne de Shakspeare. » Après un rapide séjour en Angleterre, où l’attendait de nouveau son démon familier, l’infortune, qu’il s’était habitué à traiter désormais comme « une amie, une sœur[1], » Shelley, décidé sinon à rompre entièrement avec le monde, du moins à ne plus vivre que pour un cercle intime, se rendit en Italie avec sa femme, parcourut Rome, Naples, Pise. A son passage à Venise, il avait retrouvé Byron, connu la Guiccioli, écrit Julian et Maddalo, peinture de la vie des lagunes où le poète de Childe-Harold et lui sont représentés. Au nombre
- ↑ Voyez, dans les Shelley Papers, la pièce intitulée Appel à l’Infortune.