domination misérable, marquée par tant d’injustices et de souffrances, dont nous avons été les premières victimes. Cela remet en mémoire une des prédictions d’un philosophe de nos jours. M. Büchez annonçait qu’une espèce supérieure à l’espèce humaine doit apparaître à un moment donné et nous réduire en esclavage. Il ajoutait que nous y gagnerons beaucoup en considération et en bonheur. Pourquoi faut-il que nous nous obstinions à être insensibles à des promesses si engageantes ?
Est-ce donc à dire qu’il n’y ait aux États-Unis rien de fondé dans ces réclamations ? On est assez généralement d’accord que la loi américaine est souvent sévère et exclusive à l’égard de la femme. Sur quelques points, surtout on entend se produire des critiques qui n’émanent point nécessairement d’esprits chimériques : ce sont la garde de la personne de la femme, la garde et la surveillance exclusive des enfans par le mari, la propriété des biens mobiliers de la femme et la jouissance de ses immeubles, enfin le droit absolu du mari à tout le produit de l’industrie de la femme. Pour changer des dispositions qui consacrent à l’excès la défiance à l’égard de la femme dans un pays où la capacité ne paraît certes pas lui manquer, y avait-il la moindre raison sérieuse de prêcher une croisade en faveur des droits politiques ? On se le persuadera difficilement. La liberté de discussion, si entière en ce pays, le droit de réunion, tous les moyens par lesquels les autres réformes ont été obtenues, ne suffisaient-ils pas pour modifier, quand il y a lieu, les rapports légaux ? Ces airs de révolte et ces fastueuses proclamations de nouveaux droits n’étaient point nécessaires.
Comme pour presque toutes les questions qui tiennent à la réforme sociale, la France a procédé ici philosophiquement, j’entends par principes absolus et théories abstraites. Il est de mode aujourd’hui de lui en faire un crime. Cette méthode, quand elle est à sa place, donne pourtant aux questions une élévation morale et une ampleur que les Américains et les Anglais eux-mêmes, avec les procédés le plus souvent empiriques qu’ils emploient, n’atteignent que rarement. Serait-ce une infériorité d’esprit de savoir dégager en toute matière la vérité sous sa forme la plus pure ? N’est-ce là l’idéal même, distinct de la chimère, qui n’est que le faux idéalisé ? Mais, dit-on, nous avons abusé de cette méthode. Rien n’est plus vrai. Et un plus grand abus que celui qui en a été fait dans la déclaration des droits de l’homme ne serait-il pas d’y ajouter une sorte de 89 féminin ? Voilà pourtant ce qu’on prétend faire aujourd’hui en allant plus loin que le XVIIIe siècle philosophique, qui, par ses plus illustres organes, n’avait guère songé à inscrire les droits des femmes dans son programme, pourtant si hardi. Voltaire se serait moqué de l’idée de donner des droits politiques aux