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femmes. Rousseau, peu suspect d’injuste exclusion envers elles, montre assez, par son cinquième livre de l’Emile, combien une telle idée était éloignée de sa manière de concevoir leur destinée. C’est à croire qu’une telle thèse ne lui aurait guère causé moins d’horreur qu’à Bossuet lui-même, quoiqu’il eût mêlé sans doute à sa répugnance d’autres motifs plus profanes. Il aurait craint, j’imagine, de les enlaidir en leur faisant partager nos sombres et maussades passions. Est-il besoin de dire que les spirituelles mondaines du temps de Louis XV songeaient peu à leurs droits civils et politiques? En fait de libertés, elles se contentaient de celles qu’elles prenaient. Comme influence, elles n’avaient rien à désirer; elles régnaient par la mode et l’opinion. Les salons étaient leur tribune, et il leur suffisait d’y parler d’une voix douce et insinuante pour y déployer toute leur puissance, mieux qu’elles ne l’eussent fait par des votes déposés dans l’urne banale. Il est pourtant vrai que c’est par un philosophe et sous forme philosophique que la question des femmes, de ce qu’on appelle prétentieusement leur émancipation, a été introduite en France. Condorcet a eu cet honneur, si c’en est un. Au milieu d’autres passages dans sa célèbre Esquisse des progrès de l’esprit humain, on trouve cette conclusion qui forme le point de départ et comme le résumé de toutes les affirmations émancipatrices : « Parmi les progrès de l’esprit humain les plus importans pour le bonheur général, nous devons compter l’entière destruction des préjugés qui ont établi entre les deux sexes une inégalité de droits funeste à celui même qu’elle favorise. On chercherait en vain des motifs de la justifier par les différences de leur organisation physique, par celles qu’on voudrait trouver dans la force de leur intelligence, dans leur sensibilité morale. Cette inégalité n’a d’autre origine que l’abus de la force, et c’est vainement qu’on a essayé depuis de l’excuser par des sophismes. » Tel est le symbole du nouvel évangile. Condorcet comme savant, comme mathématicien, a certes une grande valeur : nous n’attachons pas la même autorité à ses vues morales et historiques, trop souvent exclusives et chimériques. Il raisonne sur l’homme et sur la femme comme sur des quantités mathématiques. Ce qui est fin, délié, délicat, risque de lui échapper. N’est-ce pas aussi le cas d’un autre penseur dont les émancipateurs aiment à invoquer le nom en ce moment? Sieyès, théoricien absolu, a réclamé le droit de suffrage pour les femmes au nom de ces formules qui lui sont chères, et qui satisfont aussi peu le philosophe que l’homme pratique. Il y aurait lieu d’en faire la remarque : ceux qui songent à réclamer pour les femmes l’usage du droit politique ne sont peut-être pas ceux qui les aiment et les estiment le plus; ce sont en général des esprits abstraits, épris d’un faux idéal d’égalité, et qui ne confondent les sexes politique-