Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/690

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernent seuls. A l’église, on défend de posséder des immeubles; aucun citoyen ne peut lui faire une donation de son vivant; le commerce est interdit aux prêtres. La loi parle avec une violence grossière des abus du clergé. L’étranger, non l’homme d’une autre race, mais le voisin le plus proche, est l’adversaire naturel, l’ennemi héréditaire. Il ne peut rien posséder sur le territoire de la commune. Si un habitant dit du mal de la commune, il est banni, ses biens sont confisqués; revient-il dans sa patrie, il a la tête tranchée. Ces républicains ont une grande opinion de leur droit à l’indépendance. La loi leur ordonne d’être toujours armés; l’entrée sur la terre d’ autrui est punie d’une amende, à plus forte raison la violation du domicile. Les dispositions qui protègent la propriété sont relativement plus rigoureuses que les peines contre l’assassinat et les voies de fait. A Lésina, le vol, selon la gravité, entraîne la perte de l’œil droit, de la main droite, des deux mains, et s’il dépasse 30 livres, la mort. L’attentat sur la femme mariée est puni de mort, que le coupable soit noble ou vilain; sur la fille, d’une simple amende. On trouverait dans ces constitutions bien des articles qui rappellent les cités de la Grèce antique. La religion, les traditions, les races étaient différentes; l’isolement, le besoin de se protéger, un état de guerre perpétuel, un vif sentiment de l’indépendance chez des peuples également jeunes, ont fait établir les mêmes lois. Ainsi cette tyrannie de l’état, cette haine de l’étranger, qu’on explique parfois chez les anciens par des causes toutes secondaires, ont une seule raison : l’intérêt de la communauté.

Dès le milieu du XVIIe siècle, la noblesse dalmate n’avait plus de passion que pour les rivalités de castes, les titres honorifiques, les privilèges de costume et les préséances. Aujourd’hui, la société polie des villes paraît être au premier abord tout italienne; on voit bien vite que les apparences sont trompeuses. Il est vrai que les abbés en culotte courte rappellent Milan et Venise, que la promenade dans la rue principale, qu’on décore du nom de corso, réunit le soir en été une foule nombreuse, que les hommes passent de longues heures au cercle, que de vieilles familles nobles vivent renfermées chez elles, cachant leur pauvreté dans des palais pour étaler quand elles sortent un luxe éclatant. Il est vrai surtout que l’italien est d’un usage général ; mais le sang dalmate est slave. Cette société vit surtout chez elle, en famille; on ne peut lui reprocher ni le goût du brillant ni celui de la parole. Elle a une bonhomie très simple et une réserve un peu froide qui n’excluent ni la finesse ni la cordialité. Elle est instruite et sérieuse; elle parle le français souvent avec une grande pureté. Elle recherche nos journaux, qu’on trouve partout, même dans des villes de quatre et cinq mille âmes; elle lit aussi et surtout nos romans. Les contrefaçons allemandes