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volutions, qui vivent dans des agitations indéfinies. Qu’est-ce que la vie contemporaine de l’Espagne, si ce n’est une crise permanente ? La crise de la veille conduit à la crise du lendemain. Un changement de ministère est presque une révolution qui se manifeste tout au moins par une dissolution des chambres. La monarchie, reconstituée après les événemens de 1868 avec une dynastie nouvelle, vit sur un sol toujours prêt à s’effondrer, au milieu des menaces incessantes d’insurrections républicaines ou carlistes. C’est ainsi que les choses se passent. Le ministère radical, présidé par M. Ruiz Zorrilla, en arrivant au pouvoir il y a quelques mois, commençait naturellement par dissoudre les chambres, par faire des élections nouvelles, quoique le parlement qui existait et qui venait à peine d’être élu ne fût même pas encore légalement constitué. Qu’en est-il résulté ? Ce qui arrive toujours en Espagne n’a pas manqué de se reproduire. Le cabinet nouveau a fait ses élections, et il a eu la majorité, comme le cabinet auquel il succédait avait eu la sienne.

C’est l’éternelle histoire au-delà des Pyrénées. Autrefois, quand les progressistes arrivaient au pouvoir par une révolution, par un pronunciamiento, il restait à peine dans le congrès qu’on élisait deux ou trois modérés envoyés par quelques districts qu’on n’avait pas eu le temps de convertir. Quand les modérés à leur tour reprenaient l’ascendant, les cortès ne comptaient plus qu’un ou deux progressistes perdus dans une immense majorité conservatrice. La roue avait tourné comuie elle vient de tourner encore une fois il y a quelques jours. Le radicalisme était battu dans les élections faites sous l’influence du ministère dont M. Sagasta était le chef ; il s’est relevé dans les élections faites sous la haute surveillance du nouveau président du conseil, M. Ruiz Zorrilla, et M. Sagasta lui-même, la veille encore chef du ministère, n’a pas pu trouver des électeurs pour le nommer. La plupart des hommes qui ont été les premiers auteurs de la révolution de 1868 ou qui ont joué un rôle considérable dans la politique, le général Serrano, l’amiral Topete, l’amiral Malcampo, M. Rios Rosas, M. Ayala, ont eu le même sort, ils ne sont plus députés. L’opposition modérée n’est plus représentée dans les cortès nouvelles que par une douzaine de partisans du prince Alphonse. Les républicains seuls, par une sorte de connivence du gouvernement, ont réussi à se faire élire en assez grand nombre et forment un groupe d’une certaine importance dans ces chambres où le cabinet a pour le moment une majorité radicale à sa dévotion. Ce n’est pas que le président du conseil, M. Zorrilla, soit lui-même un radical bien terrible comme on l’entendrait en France ; il faisait récemment dans un discours les protestations monarchiques les plus vives, et il se déclarait prêt à se faire tuer sur les marches du palais pour la défense du roi Amédée Ier et de sa dynastie ; mais il a surtout du radicalisme le vague des idées et l’emphase du langage. M. Zorrilla a le goût des programmes ambitieux, toujours plus faciles à rédiger qu’à réaliser.