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Châtillon-sur-Seine et Bar-le-Duc[1], nous avons jugé plus avantageux de le faire opérer dans l’extrême est, de manière à amener la levée du siège de Belfort, à occuper les Vosges et à couper les lignes ferrées venant de l’Allemagne. Cette action nous semble à la fois plus sûre et plus menaçante que celle que vous avez en vue… »


Oui, certes l’action était sûre et surtout facile. Notez bien que, sans s’être concerté avec son compagnon du Mans, le général Bourbaki lui-même avait d’abord proposé pour son armée un mouvement à peu près semblable à celui qu’indiquait Chanzy. C’est le gouvernement, M. de Freycinet l’assure, qui avait le mérite de s’être montré plus habile que les généraux, d’avoir imaginé la campagne de l’est, et M. Gambetta, en puissant stratégiste qu’il était, avait bien raison de se prédire à lui-même la victoire dans sa lettre au général Chanzy, de prétendre que la Prusse n’avait dû « ses succès qu’à nos fautes, » mais « qu’une expérience cruellement acquise nous apprendrait à en éviter le retour. » Malgré une si parfaite assurance, Chanzy était tellement pénétré du danger de cette marche vers l’est dans une pareille saison, de la nécessité de concentrer tous les efforts sur Paris, qu’il s’obstinait encore à faire une dernière tentative pour ramener le gouvernement. « Je trouverais bonne l’opération dans l’est de Bourbaki, disait-il, si le résultat pouvait en être plus immédiat pour Paris. Ces considérations puissantes me font toujours insister pour l’adoption et l’exécution à bref délai du plan que je vous ai proposé. » Cette fois on répondait à Chanzy avec une certaine mauvaise humeur, en lui faisant assez aigrement la leçon sur sa propre situation, en lui disant avec une imperturbable outrecuidance qu’il n’y avait pas lieu « de prendre à la lettre l’échéance du général Trochu, » qu’on avait d’autres renseignemens, qu’il ne devait pas se laisser affecter par les dépêches du gouverneur de Paris. De quoi se mêlait-il, qu’avait-il affaire de se mettre en rapport avec le général Trochu ? Il n’avait qu’à écouter le gouvernement de Bordeaux, à ouvrir comme lui son âme « à l’espoir que devait faire naître un plan d’ensemble bien conçu et bien coordonné pour un effort suprême et décisif. » Ce plan, c’est celui qui a été suivi, — et qui a si bien réussi ! Jusqu’au bout, ces merveilleux stratégistes tenaient à ne pas se démentir, et peu s’en faut encore qu’ils ne se laissent décerner dans les banquets du radicalisme les ovations des triomphateurs pour avoir sauvé la France !

Je ne parle pas de ce fait d’un jeune tribun d’audience

  1. Le général Chanzy se borne à faire remarquer qu’on a voulu dire probablement Bar-sur-Seine.