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s’improvisant dictateur d’une nation, ne doutant de rien, donnant des leçons à tout le monde, surtout aux chefs militaires, et confondant Bar-le-Duc avec Bar-sur-Seine, comme il avait confondu un mois auparavant Épinay-sur-Orge avec Épinay-sur-Seine. Je veux seulement préciser ici deux ou trois circonstances où éclate la responsabilité de ce gouvernement de l’infatuation agitatrice et stérile. Ainsi voilà une situation militaire sur laquelle deux généraux expérimentés ont la même opinion, puisque sans s’être concertés ils proposent un plan à peu près semblable. N’importe, on leur dit que leur plan ne serait pas efficace, qu’on a un autre plan beaucoup plus sûr qui va « démoraliser l’armée allemande, » et on précipite une armée française dans les neiges des montagnes de l’est ! Autre fait. Voici un général, commandant d’une place assiégée, qui, non plus cette fois dans quelque proclamation banale, mais dans le secret, dans une intimité virile de chef militaire à chef militaire, dit sincèrement, nettement : « Nous résisterons jusqu’au 20 janvier, pas une heure au-delà ! » On n’en tient compte, on aime mieux se fier aux renseignemens du premier venu, et on répond à celui qui a reçu ces confidences qu’il ne doit pas « se laisser affecter par les dépêches du général Trochu, » qu’il ne faut pas « prendre à la lettre l’échéance du général Trochu ! » Je demande simplement ce qu’ont fait de plus, comme imprévoyance et comme incapacité, ceux qui ont commencé la guerre. Chanzy devait sourire tristement en recevant les dépêches qu’on lui adressait, en voyant une telle légèreté unie à tant d’arrogance au moment où allaient se décider les destinées de la France. Quant à lui, il n’avait plus qu’à se renfermer dans son rôle de chef de la deuxième armée, prêt à jouer sa difficile partie dans l’ouest, et à se porter de nouveau sur l’ennemi ou à l’attendre dans ses positions du Mans, à l’abri desquelles il commençait à se refaire.


IV

Chanzy, au milieu de ces délibérations intimes, n’avait pas perdu son temps en effet ; il s’était établi au Mans, qui devenait pour lui ce qu’avait été Orléans pour le général d’Aurelle, et qui, sans être plus qu’Orléans une forte position militaire, ne laissait pas de se prêter à une sérieuse action défensive. Le Mans avait l’avantage d’être dans l’ouest le centre d’un réseau de chemins de fer rayonnant vers Tours, Angers, Rennes, Brest, Cherbourg, enfin vers Paris. Placée presque au confluent de la Sarthe et de l’Huisne, dans une sorte de triangle, la ville est entourée de coteaux qui bordent les vallées des deux rivières et qui peuvent devenir pour elle une protection. En avant du Mans, sur ce terrain accidenté et boisé, il y a plusieurs plateaux qui