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désordre. On abandonnait des postes qu’on aurait pu occuper encore et qui restaient livrés à l’ennemi. Chanzy, voyant le cercle se resserrer autour de lui, se raidissait de toute son énergie, et s’efforçait de réagir contre ce commencement de démoralisation avant la bataille. « Nul ne doit songer à la retraite sur Le Mans, disait-il, sans avoir tenu jusqu’à la dernière extrémité… La retraite ne mène à rien, elle n’est que le principe d’un désordre que nous devons éviter à tout prix. Il faut donc que, dès demain, dans toutes les directions et sur tous les points à la fois, on reprenne l’offensive. » La cavalerie devait se reporter sur Grand-Lucé, qu’elle avait abandonné sans résistance. Le général de Colomb, qui commandait le 17e corps, devait reprendre Ardenay sur la route de Saint-Calais. Le général Jaurès devait attaquer l’ennemi sur l’Huisne à Thorigné et à Connerré. Ces résolutions étaient certes d’un esprit viril, et Chanzy avait d’autant plus de mérite à garder toute sa fermeté, qu’il se trouvait malade en ce moment. Par le fait, il n’avait pas besoin de s’occuper d’une offensive devenue difficile, il avait bien assez de se défendre. L’ennemi marchait de lui-même à notre rencontre, il dessinait de plus en plus ses mouvemens ; il se rapprochait en se concentrant. Pendant toute la journée du 10, on se battait sur l’Huisne, sur la route de Saint-Calais, en avant du plateau d’Auvours, sur le front de Pontlieue. Au fond, la situation ne changeait pas sensiblement, on n’avançait pas, on ne reculait pas, on restait en présence. Le soir même, Chanzy envoyait au gouvernement une dépêche où il dépeignait la gravité de la crise, où il faisait passer tout le feu de son âme. « Les armées du prince Charles et du grand-duc de Mecklembourg, disait -il, ont redoublé d’efforts aujourd’hui sur l’Huisne et au sud-est du Mans. Pressées de tous côtés, nos colonnes ont dû battre en retraite sur les positions défensives qui leur avaient été assignées à l’avance. L’action a été des plus vives à Montfort, à Champagne, à Parigné-l’Évêque, à Changé, à Jupilles. Nous sommes évidemment en présence d’un effort des plus sérieux de l’ennemi et d’une ferme volonté de sa part d’en finir avec la deuxième armée. Nous allons lutter comme à Josnes. J’ordonne partout la résistance à outrance. Je défends formellement toute retraite… »

Le vrai mot de cette situation critique, c’est que, sans avoir réellement perdu ni gagné de terrain dans la journée du 10, l’armée française se trouvait enfermée tout entière dans les lignes du Mans, ayant à recevoir d’un instant à l’autre l’assaut de 80,000 hommes. Tout se préparait pour l’action au camp allemand. L’armée du grand-duc de Mecklembourg devait continuer à descendre par l’Huisne pour forcer les passages de la rivière et menacer de tourner Jaurès. Le IIIe corps prussien, appuyé par le IXe corps, était