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il n’avait pas été entamé malgré les énergiques efforts de l’ennemi sur tout le front de nos lignes.

On en était encore là vers six heures du soir. Le général Chanzy prenait déjà ses dispositions pour le lendemain, lorsqu’à huit heures il recevait la nouvelle la plus grave et la plus douloureuse. Une des positions les plus importantes à l’aile droite de l’armée, celle de la Tuilerie, qui couvrait le rond-point de Pontlieue, avait été abandonnée presque sans combat par des mobilisés de Bretagne saisis de panique à la vue d’une colonne prussienne qui s’avançait sur eux. L’amiral Jauréguiberry, informé le premier de ce cruel accident, s’était hâté de donner l’ordre de reprendre au plus vite la position ; mais il télégraphiait bientôt au général en chef : « Je reçois des nouvelles désolantes. On n’a pu réussir à reprendre la Tuilerie. Les hommes, au premier coup de fusil, se sont débandés… » Vainement en effet un officier des plus énergiques, le général Le Bouëdec, avait essayé de réunir quelques troupes en avant de Pontlieue et de les enlever par sa vigueur. Les compagnies, à peine formées, se dispersaient ; les hommes épuisés de fatigue, effarés d’un combat de nuit, s’arrêtaient et se couchaient sur la neige. La démoralisation recommençait et se communiquait avec une effrayante rapidité. Que faire cependant ? La perte de la Tuilerie laissait la position de la droite de l’armée complètement découverte. Avant la fin de la nuit, Chanzy essayait encore de provoquer une tentative, il comptait comme toujours sur l’amiral Jauréguiberry, dont il connaissait l’énergie ; il lui écrivait : « Au jour, vos troupes se reconnaîtront et reprendront confiance ; tout peut être sauvé. » L’amiral répondait d’un accent navré que depuis quatre heures ses officiers étaient occupés à rallier les fuyards sans pouvoir y réussir, et il ajoutait : « Je suis désolé d’être obligé de dire qu’une prompte retraite me semble impérieusement commandée. » Cette retraite, à laquelle Chanzy ne voulait pas se résoudre, elle était nécessaire cependant, et en la subissant le général en chef écrivait à l’amiral : « Le cœur me saigne ; mais quand vous, sur qui je compte le plus, vous déclarez la lutte impossible et la retraite indispensable, je cède… » C’était le dernier mot dramatique et sombre de cette campagne.

Ainsi après plus d’un mois d’efforts et de combats, après s’être replié successivement d’Orléans sur Josnes, de Josnes sur Vendôme, de Vendôme sur Le Mans, il fallait se replier encore, épuiser l’amertume des retraites inévitables. Après la Loire, le Loir, la Sarthe, il fallait aller sur la Mayenne. Au premier instant, Chanzy avait songé à se rejeter vers Alençon pour rester à portée de Paris en s’ appuyant sur les lignes de Cherbourg. Le gouvernement tenait à