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qui leur fit défaut, continuent les travaux de leurs premières années, du font l’apprentissage d’un état qui leur permette d’échapper aux dangers de l’avenir. J’ai pris un réel plaisir à regarder pendant plusieurs heures leurs petits bataillons défiler en ordre parfait, fifres en tête et au pas militaire, pour se rendre aux travaux des champs ou de l’atelier, précédés des frères en chapeau rond et en blouse rustique, portant sur l’épaule les armes du travail. Comme je suis, je dois l’avouer, prédestinatien déterminé, et que je ne crois guère à la puissance du bien que sur les âmes qui sont faites pour lui de toute éternité, je ; me suis amusé à passer une inspection détaillée de toutes ces physionomies d’enfans, pour savoir si j’y surprendrais les signes d’une rédemption possible plutôt que ceux d’un endurcissement déterminé, et je dois dire, à la confusion de mes doctrines, que l’ensemble est exactement le même que celui que présente un régiment, un collège ou un atelier, car, s’il y a là certaines physionomies bien sérieusement marquées du sceau indélébile de la bête, il s’y rencontré beaucoup d’enfans de la figure la plus heureuse, et que certainement la nature n’avait pas réservés à l’esclavage du vice et du crime. Une observation assez curieuse, et qui plaide encore contre mes croyances prédestinatiennes, c’est qu’il m’a paru que les plus petits étaient beaucoup plus endurcis que les grands. Lorsque j’ai traversé les ateliers, j’ai pu saisir chez beaucoup de ces derniers des signes de cette bonne honte qui est chez les coupables l’indice d’un meilleur état d’âme, rougeur légère, yeux baissés, satisfaction visible lorsqu’on semblait prendre intérêt à leur travail ; je n’ai remarqué rien de pareil chez les plus jeunes. Cette observation ne peut guère prouver qu’une chose, c’est que le levain moral a besoin du temps pour agir, et que le sentiment du bien ne commence à avoir de puissance que lorsque l’âme acquiert une conscience à peu près nette d’elle-même. Je ’e suis entretenu assez longuement avec le directeur de l’établissement, prêtre d’une physionomie singulièrement austère et triste, comme peut bien l’être celle d’un homme qui est tenu, au nom de l’Evangile, d’agir tout au rebours de cette parole de l’Évangile : « voyez-vous qu’on jette le bon grain parmi les ronces ? » car il doit passer sa vie précisément à ensemencer les épines et à traiter le sable aride comme terre fertile. Dans le cours de la conversation, il me fait part d’une observation fort curieuse, et qui est bonne à rapporter. « Les meilleurs de nos enfans, me dit-il, les plus corrigibles, sont ceux qui nous viennent des grandes villes, et très particulièrement les petits Parisiens. On nous envoie quelquefois des enfans qui se sont habitués à la plus détestable liberté d’un vagabondage sauvage, ou de petits factieux en herbe, qui ont pris part aux émeutes, soulevé des pavés et autres gentillesses pareilles ; il