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les abriter. » Nous savons par une expérience souvent répétée combien il faut toujours rabattre des exagérations de la médisance contemporaine ; cependant nous devons dire que l’image de Nicolas Rolin ne plaide pas précisément en sa faveur. L’aîné des frères Van Eyck, Hubert, nous a laissé son portrait, que possède le musée de Dijon. C’est une figure maigre comme celle d’un loup avec un profil allongé comme le tranchant d’un couteau et pointu comme le museau d’un renard, la sécheresse et la dureté incarnées, mais avec une fermeté visible et un air de décision et d’autorité remarquable. En le regardant, on pense à ces silex si durs et si froids, d’où jaillissent, quand on les frappe, les étincelles d’un feu caché. Que l’âme qui fut revêtue d’une pareille enveloppe ait aimé l’argent comme elle aima la puissance et le commandement, rien en vérité n’est plus croyable. D’ailleurs, si les inclinations du père passent dans le fils avec le sang, nous pouvons croire que Nicolas Rolin fut vraiment rapace, car nous savons que son fils, le cardinal Jean, évêque d’Autun, libéral et magnifique comme lui, aimait l’argent à tel point qu’ayant été prié par les carmes de Semur de faire la dédicace de leur église il ne dédaigna pas deux saluts d’or que ces religieux lui donnèrent pour ses peines.

Mais que nous importe aujourd’hui cette rapacité, puisqu’elle nous a valu un magnifique édifice et puisque d’ailleurs les contemporains eux-mêmes se ressentirent de ses bienfaits ? C’est vraiment une question que de savoir s’il ne vaut pas mieux que l’argent aille en des mains crochues, mais habiles, qui, comme des écluses, le retiennent pour le répandre avec intelligence, qu’entre des mains peureuses et honnêtes qui ne l’attireront jamais par fraude et violence, mais qui par égoïsme ne laisseront jamais échapper la moindre portion de ce qu’elles auront saisie. Je n’entreprendrai point une description détaillée de ce ravissant palais des pauvres, avec sa longue façade, son clocher fluet et pointu, sa superbe cour intérieure, ses galeries de bois sculpté, ses innombrables lucarnes ogivales aux clochetons dentelés ; ceux qui ont vu les édifices municipaux des Flandres pourront se faire une idée de l’élégante originalité de cet édifice. C’est l’art des Flandres, à sa plus brillante époque, transplanté tout vif en Bourgogne. Je suis assez surpris de découvrir que cet édifice unique n’est point classé parmi les monumens historiques, et qu’il se trouve ainsi à la discrétion des conseils municipaux saugrenus qu’il plaira au hasard d’infliger à la ville de Beaune, accidens dont nous avons vu trop d’exemples pour qu’ils ne soient pas toujours à prévoir et à redouter. En dehors de sa beauté, cet hôpital a une importance historique capitale, car il représente seul en Bourgogne l’époque la plus brillante de la période ducale, et fait revivre le moment où, la politique des ducs de la